vendredi 14 juillet 2017

Oscar Wilde sur la côte normande


La communauté anglaise de Dieppe lui étant hostile, Oscar Wilde - qui a pris le nom de Sebastian Melmoth pour préserver sa tranquillité - s'installe à Berneval, un petit bourg un peu plus au nord, sur la côte normande : une belle plage, de hautes falaises, une vingtaine de chalets et un unique hôtel, où Wilde s’installe le soir du 26 mai 1897 pour y rester tout l’été. "La mer a une jolie plage, écrit-il à Alfred Douglas, vers laquelle on descend à travers un chemin creux, et la terre est couverte d’arbres et de fleurs, tout à fait comme dans un coin du Surrey. [...] Ici, je me lève à 7 h 30. Je suis heureux chaque jour. Je vais au lit à dix heures du soir."


L’hôtel de la Plage appartient à M. Bonnet, créateur de la station. "C'était lugubre, commente André Gide. L'hôtel, propre, agréablement situé, n'héberge que quelques êtres de second plan, d'inoffensifs comparses [...]. Triste société pour Melmoth!" Monsieur Bonnet a accueilli chaleureusement ce dandy anglais dont il ignore tout. Wilde jouit des deux meilleures chambres, au premier étage qu'il "a fait aménager avec grand goût", précise Gide. Là, aidé financièrement par les rares amis qui lui étaient restés fidèles, il reprend un dispendieux train de vie, en plus d'une abondante correspondance qui avait fait jadis sa légende.

Charles Conder et Ernest Dowson
Toujours aussi sensible au charme masculin, il invite à dîner quelques artistes britanniques séjournant dans les alentours, dont l'aquarelliste Charles Conder (1868-1909) et deux de ses amis : le poète Ernest Dowson (1867-1900) et le musicien Dalhousie Young (1866-1921), pour qui Wilde envisagera d'écrire un livret d'opéra sur Daphnis et Chloé.


Il les appelle "le Poète, le Philosophe et le Peintre", et écrit à Douglas : "Ernest Dowson, Conder et
Dal Young - quel nom! - viennent pour dîner et dormir ; je sais pour le moins qu'ils dînent, mais je crois qu'ils ne dorment pas." Tous quatre restent dans sa chambre à discuter jusqu'à cinq heures du matin. Ces échanges artistiques, où Melmoth redevient Wilde et brille de tous ses feux, lui mettent du baume au coeur. "Avec vous, je peux fièrement porter ma cravate rouge" confie-t-il à Dowson.



Sebastian Melmoth se promène sur la plage, se baigne régulièrement, et va à la messe.  Au cours des promenades qu’il effectue, "le cœur […] plein de révolte et d’amertume", il découvre une petite chapelle pour lui "pleine de saints les plus fantastiques, si gothiques et laids". Le 31 mai, alors qu’il a reçu la veille des photos de ses fils, il décide de faire un "pèlerinage " à Notre Dame de Liesse... qui se trouve à cinquante mètres de l’Hôtel de la plage.


"Elle m’a probablement attendu pendant ces pauvres années de plaisir et, maintenant, elle vient à ma rencontre avec son message de Liesse". Monsieur Melmoth se lie avec le curé de la paroisse, l’abbé Trop-Hardi, et s’interroge : "je ne sais pas si je devrais lui dire que je suis déshonoré".
 
 

Il célébre à sa manière le jubilé de diamant de la reine Victoria en organisant, le 22 juin 1897, une fête grandiose à ses frais, pour les enfants du village. "J'ai reçu quinze gamins en les régalant, écrit-il à Douglas. J'avais commandé un énorme gâteau glacé, où les mots Jubilé de la reine Victoria étaient écrits [...]. Ils ont chanté La Marseillaise et [...] joué God save the Queen. [...] Je les fis boire à la santé de la Reine d'Angleterre [...] ! Puis je fis acclamer la France, mère de tous les artistes et, finalement, le Président de la République [...]."


La vie d’hôtel commence à lui peser depuis qu’une femme et ses deux enfants habitent la chambre au-dessus de la sienne. Les enfants font du bruit, l’empêchant de travailler à l’écriture de sa Ballade de la geôle de Reading, commencée début juin. Monsieur Bonnet se propose de lui faire construire un chalet pour 12000 francs. Il s'installe, début juillet, au chalet Bourgeat, loué 32 livres et pourvu d’un jardin, de deux chambres d’amis et de deux balcons.




Enfin, Wilde a un chez-lui ! Cependant, Wilde va commencer à ressentir une grande lassitude. Le temps devient exécrable. En août, son cher Dowson, qui s'est entiché de John de Courcy MacDonnell (1869-1915), rencontré à Dieppe, s'apprête à partir en Irlande avec lui. Wilde lui prête un peu d'argent pour le voyage, et lui écrit quelques semaines plus tard, aux abois : "Votre facture chez Mr Bonnet était de 11 livres, sans compter d'importantes dépenses à Dieppe. Le tout se monte à 19 livres, que j'espère recevoir sous huitaine car je ne peux pas payer Monsieur Bonnet, qui devient outrageusement insistant." Le secret de son identité vacille. Les gens du village ont trouvé étrange que, seuls, les petits garçons aient été invités au Jubilé de la Reine, et que les visites de Monsieur Melmoth soient exclusivement masculines. Le 15 septembre 1897, il quitte définitivement Berneval. Aujourd’hui, presque toute trace d’Oscar Wilde a disparu de la commune normande. La petite ville a été bombardée pendant la Deuxième Guerre mondiale, détruisant la plupart des lieux où Wilde est passé, a vécu...

  source : 
http://www.histoirenormande.fr/la-normandie-terre-dexil-des-precieux-libertins-oscar-wilde