dimanche 24 juillet 2016

Arthur Cravan critique d'art

Le quatrième numéro de la revue Maintenant, "numéro spécial", est tout entier consacré à une attaque en règle contre l'exposition des Indépendants de 1914. D'entrée de jeu, Arthur Cravan (1887-1918) annonce la couleur : il méprise la peinture et s'il rend compte de cette exposition, c'est "pour faire parler de moi et tenter de me faire un nom." Il vise donc d'abord le scandale. Et puis il ne peut résister au plaisir de dire leur fait aux "sales gueules d'artistes" qui se pressent sous les tentes où on expose les oeuvres. Après avoir proclamé préférer la photographie à la peinture, Cravan oppose à la faune des artistes parisiens, peintres et écrivains confondus dans la même aversion, avec leurs corps rabougris, leurs mines pâles, les "jeunes Américains d'un mètre quatre-vingt dix, heureux dans leurs épaules, qui savent boxer et qui viennent des pays arrosés par le Mississippi, où nagent les Nègres avec des mufles d'hippopotames...". Il va sans dire que la vie est du côté des garçons heureux dans leurs épaules [...], la modernité du côté de New York et de ses gratte-ciel, et non du côté des artistes, des intellectuels, des cérébraux. Ceux-ci ont le tort immense de préférer l'intelligence et de mépriser le corps, alors que, selon Cravan, "le génie n'est qu'une manifestation extravagante du corps" et donc il "ne trouve un être intelligent seulement lorsque son intelligence à un tempérament." Le ton et le langage sont incroyablement féroces. Suzanne Valadon est traitée de "vieille salope". Les plus chanceux sont exécutés en deux mots: "Malevitch, du chiqué. Alfred Hagin, triste, triste. Peské, t'es moche. [...] Deltombe, quel con ! Aurora Folquer, et ta soeur ?" Robert Delaunay, lui, a droit à plusieurs pages d'où il ressort tout à fait amoché : "M. Delaunay qui a une gueule de porc enflammé ou de cocher de grande maison pouvait ambitionner avec une pareille hure de faire une peinture de brute. L'extérieur était prometteur, l'intérieur valait peu de chose. J'exagère probablement en disant que l'apparence phénoménale de Delaunay était quelque chose d'admirable. Au physique, c'est un fromage mou : il court avec peine et Robert a quelque peine à lancer un caillou à trente mètres." Quant à Marie Laurencin, "en voilà une qui aurait besoin qu'on lui relève les jupes et qu'on lui mette une grosse... quelque part pour lui apprendre que l'art n'est pas une petite pose devant le miroir."

Jean-Emile Laboureur, qui expose un tableau intitulé Le Café du commerce, est mieux traité : "Ses toiles, bien qu'encore sales, ont quelque vie, surtout celle qui montre un café avec des joueurs de billard; mais le plaisir qu'on a de la regarder n'est pas immense parce qu'elle n'est pas assez différente." La critique officielle, en la personne d'André Salmon n'y voit, elle, nulle vie et accuse Laboureur de copier précisément Marie Laurencin : "C'est le même soin d'une morale des lignes, mais combien anémiée!". [...] Mais on aurait tort de prendre Cravan au mot et de voir dans les jugements à l'emporte-pièce du poète-pugiliste, neveu d'Oscar Wilde, un simple exercice dans l'art de la provocation. Cravan défend aussi ses propres conceptions esthétiques. S'il déclare préférer "les excentricités d'un esprit même banal aux oeuvres plates d'un imbécile bourgeois" et s'il n'est pas tendre pour les "pompiers des Beaux-Arts" et pour les impressionnistes, Cravan va plus loin, dépasse les querelles d'écoles, de chapelles pour faire de la peinture une critique radicale. Aux cubistes et aux futuristes il reproche de faire du chiqué, de peindre en artistes roublards et non en brutes, en innocents: "Il faudrait un génie aux cubistes pour peindre sans truquages et sans procédés". Il ne leur trouve pas plus de sincérité qu'aux peintres officiels: "On sent comme devant toutes les toiles cubistes qu'il devrait y avoir quelque chose, mais quoi ? La beauté, bougre d'idiot !"


La beauté, tout est là. Derrière les trucs, les procédés, les recettes et les "petites discussions sur l'esthétique dans les cafés" se dissimule l'impuissance de l'art pictural à rendre la vie : "Le futurisme [...] aura le même défaut que l'école impressionniste : la sensibilité unique de l'oeil. On dirait que c'est une mouche, et une mouche frivole qui voit la nature et non pas une mouche qui s'enivre de la merde, car ce qui est odeur ou son est toujours absent avec tout ce qui semble impossible à mettre en peinture et qui est justement tout." Les artistes ne peuvent voir la beauté précisément parce qu'ils dissocient l'esprit du corps. Cravan est formel : "Tout d'abord, je trouve que la première condition pour un artiste est de savoir nager. Je sens également que l'art, à l'état mystérieux de la forme chez un lutteur, a plutôt son siège dans le ventre que dans le cerveau, et c'est pourquoi je m'exaspère lorsque je suis devant une toile et que je vois, quand j'évoque l'homme, se dresser seulement une tête. Où sont les jambes, la rate et le foie ?"

Personne ne sera donc surpris que Cravan réserve ses attaques les plus violentes aux défenseurs de l'art pour l'art, qui croient la peinture supérieure à la nature, et notamment aux artistes russes. "Je ne peux avoir que du dégoût, écrit-il, pour la peinture d'un Chagall ou Chacal, qui vous montrera un homme versant du pétrole dans le trou du cul d'une vache, quand la véritable folie elle-même ne peut me plaire parce qu'elle met uniquement en évidence un cerveau alors que le génie n'est qu'une manifestation extravagante du corps." La peinture, "c'est marcher, courir, boire, manger, dormir et faire ses besoins. Vous aurez beau dire que je suis un dégueulasse, c'est tout ça". Ce que veut Cravan, c'est "de la peinture qui serait simplement voyou", une approche directe, immédiate, innocente de la vie et de la beauté, l'approche qu'aurait un enfant ou un boxeur, une approche qui ressemble à la grâce et n'a rien à voir avec l'intelligence. Alors que les artistes oublient le triste enseignement des académies et qu'ils lui préfèrent celui du critique brutal : "Allez courir dans les champs, traverser les plaines à fond de train comme un cheval, sautez à la corde et, quand vous aurez six ans, vous ne saurez plus rien et vous verrez des choses insensées."

sources :
http://www.excentriques.com/cravan/paint-critic.html
http://sdrc.lib.uiowa.edu/dada/Maintenant/4/index.htm
http://arthur-cravan.blogspot.com/2008/02/revue-maintenant-numero-4-mars-1914.html

Jacques d'Adelswärd-Fersen in Capri

Jacques d'Adelswärd-Fersen (1880-1923) purchased land in the small valley of Unghia Murana on a hill opposite the ruins of Tiberius' palace in 1903. He commissioned his friend Edouard Chimot to design a villa and hired a local contractor to build it. The construction of the villa was finally completed in July 1905 and a young construction worker selling newspapers, Antonio (Nino) Cesarini (1890-1943), whom Fersen "met" in Roma, was invited to put in place the stone with the inscription "L’an 1905 / cette villa fut construite / par Jacques / Cte Adelswärd Fersen / et dédiée / à la jeunesse d'amour."



At seventeen, the boy was in Jacques' eyes in the full glory of his youthful bloom. Such beauty needed preservation, and Jacques commissioned a number of artists to immortalize him. Nino's portrait was painted by Umberto Brunelleschi (1879-1949). The sculptor Francesco Ierace (1854-1937), whose atelier was in Naples, cast Nino's image in bronze after photos (c. 1906). A new painting of Nino (c. 1908) was also executed by Paul Höcker (1854-1910). The photo of Nino on the terrace of Villa Lysis dates from about this time. The boy is wearing a toga, with a diadem around his head and in his left hand is holding a small Nike on a globe, symbols traditionally associated with the power of Roman gods and emperors.



Guglielmo Plüschow (1852-1930) was a regular visitor, and maybe Villa Lysis was placed at his disposal as a studio. On one picture , we can see a nude young boy, resting on a sofa, with a skull resting on a pillow above his head. To the left of the photo, painting of Nino by Paul Höcker is hanging on the wall. Plüschow made many photos of Nino ; some of them have been published now including a frontal nude. Celebrating Nino's twentieth birthday, Adelswärd gave a party associated with Nino's call-up for military service : on this special occasion, he "elevated" the boy to a "soldier of Mithras". Jacques and his guest were playing parts while Singhalese houseboys, dressed as "the slaves", administered twenty lashes to Nino's bare buttocks.




Early in 1911 Nino was discharged from military service and finally returned to Capri. With the outbreak of war in 1914, Jacques was asked to present himself for military service. In the French consulate in Naples, he was found unfit for combat and was sent to a hospital to be cured of addiction, though he secretly compensated for his abstinence from opium with the use of cocaine. Nino was wounded in battle and sent to a hospital in Milan to recover. Jacques returned to Capri, his doctors having declared him incurably ill.




In Villa Lysis, he took up his old habits and spent most of his time treading back and forth between his study and smoking room. His last published volume of poetry appeared in 1921, Hei Hsiang. Le parfum noir (Hei Hsiang: The black perfume), almost entirely devoted to opium. Corrado Annicelli (1905-1984), who was more of a sly fox than a “petit faune” as Jacques called him, visited regularly Villa Lysis. On 15 October Jacques felt that his end was approaching.

"Je veux brûler ma vie sur un brasier de corps
Et, pareil au tétrarque ou pareil à l'esclave,
Mourir en étreignant le Jeune Homme et la Mort !"
(Jacques d'Adelswärd-Fersen, "Elagabal", in Paradinya, 1911)

He departed hastily for Sorrento to pick up Corrado and intended there to buy some new cocaine at the clandestine market, before departing for Naples. The next day Nino picked them up and took them to Capri. Jacques died after supper that same evening - of an overdose of cocaine dissolved in a glass of champagne.



In order to safeguard the inheritance, Jacques' family spread the rumor that he was poisoned by Nino out of jealousy, but the authorities in Naples lent no support to their accusations. The ashes were placed in the non-Catholic cemetery in Capri. His grave is on a hillside, opposite that of Norman Douglas, whose gravestone bears the inscription, "Omnes eodem cogimur" (We all gather at the same place). In accordance with Jacques’ stipulations, Nino received 302 shares of the steel mills in Longwy, all credits of Jacques’ bank-accounts in Paris, Naples and Capri, and all the money in Jacques’ purse and in the villa at the moment of his death. Nino also received the right to inhabit the villa, but sold this right to Jacques' sister for 200,000 lira. His portrait by Brunelleschi and his statue by Ierace were sold to a Swiss antiquarian and have since disappeared. He returned to Rome, where he owned a newspaper kiosk and a bar, and died in middle-age in a Roman hospital in 1943. Corrado became a talented actor.



sources :
http://semgai.free.fr/doc_et_pdf/Fersen-engels.pdf
http://www.interviu.it/turismo/capri/villa_lysis.htm
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62409w.zoom.f&.pagination
http://www.pbase.com/adalberto_tiburzi/capri_villa_lysis_

Oscar Wilde & Alfred Douglas in Rouen

Pourquoi avoir choisi Rouen pour cette journée de retrouvailles entre un Oscar Wilde (1854-1900) qui vient de subir deux années de prison et trois mois d’un morne exil normand, et un Alfred Douglas (1870-1945) impatient de rentrer en grâce] ? [...] L’ombre de Flaubert, que Wilde considéra toujours comme un maître, planait sur la ville. Et s’il ne s’agissait pas là d’une Éducation Sentimentale, c’était à coup sûr un voyage sentimental. [...] On sait [...] que Wilde était très ému et qu’il pleura à la gare en retrouvant son dear boy. Ils logèrent à l’hôtel de la poste et passèrent la journée à se promener dans la ville bras-dessus, bras-dessous, « parfaitement heureux », si l’on en croit Douglas et son autobiographie.

Proche de Dieppe [Wilde vit alors à Berneval-sur-mer, dans les environs de Dieppe, sous un nom d'emprunt : Sebastian Melmoth] et peu éloigné de Paris, Rouen était géographiquement le lieu le mieux situé pour abriter cette [...] rencontre [...]. Car ce sont bien des amoureux qui se retrouvent, bouleversés. Bosie, peut-être un peu moins qu’Oscar. Quelques semaines plus tôt, il lui adressait des lettres suppliantes auxquelles Wilde répondait froidement, puis de moins en moins froidement. Jusqu’à de que ce fût lui qui envoyât quotidiennement des missives et proposât à Bosie, le 24 Août, de le retrouver à Rouen. [...] Bosie, pour sa part, est déjà moins pressé. Sa mère et sa sœur l’attendent à Aix-les-Bains, et Rouen n’est qu’un détour avant de gagner sa véritable destination.

[...] Ce 28 août 1897 [est une] journée particulière, suspendue dans le temps, journée de bonheur éphémère, qui se prolongera peu après par le mirage de Naples, fabuleuse promesse qui grise Oscar [...]. À Rouen, il croit revivre. [...] Sera-t-il de nouveau aimé ? Il rêve, comme rêvait Emma Bovary, quelques jours avant le bal où l’avait invitée Rodolphe. Oscar ne bovaryse pas, il « bosie-rise ». La vie imite l’art, plus que l’art imite la vie.

source : http://www.oscholars.com/RBA/four/Rue_des_Beaux_Arts_4.htm