samedi 18 décembre 2010

La pédérastie en prison (1900)

"Le détenu est un esprit inventif, un débrouillard, jamais à court de moyens. [...] Il n'y a que l'amour naturel qui ne puisse s'acheter en prison... Baste ! le détenu n'est pas difficile. A défaut de femmes, il se rabat sur les gironds. Les actes immoraux se pratiquent à l'atelier, à la correspondance, dans la cage des escaliers, dans la cave au charbon, au réfectoire (pendant la lecture, les jours de mauvais temps), au dortoir, partout, en un mot, jusque dans l'église et les locaux affectés à l'administration. A l'atelier, la chose se passe derrière les marchandises et, surtout, dans les lieux d'aisances. En vérité, c'est au dortoir que gironds et pédés sont le plus à l'aise. Là, les surveillants sont des camarades. Et, sur cinq prévôts, de garde, à tour de rôle, il s'en trouve toujours de corruptibles. Souvent même, le prévôt est un amateur. Quand le prévôt n'inspire aucune confiance, les amis filent aux latrines. D'autres fois, le pédé s'entend avec le voisin du girond ; il lui cède son lit et prend le sien. Au moment propice, le couple jette une couverture à terre... On devine le reste: il arrive aussi qu'un mâle audacieux se glisse, à plat ventre, jusqu'au lit du môme. Mais cela ne va pas toujours comme sur des roulettes.

Mille petits incidents peuvent arrêter notre amoureux, au cours de son expédition nocturne : ici, c'est un maudit sabot, malencontreusement heurté, qui chahute ; là, c'est un bidon qui tombe et roule avec un bruit d'enfer. Cependant que le propriétaire s'éveille et pousse des cris d'orfraie, croyant qu'on en veut à ses poches, le prévôt s'amène et ordonne le silence. On s'expliquera, le lendemain, au prétoire. Bon gré, mal gré, quel qu'il soit, le détenu de garde, à la salle du repos, trompe la confiance de l'administration ; on y godaille avec la dernière impudence. L'important est de monter une frégate au docteur. On fait, de même, tout ce qu'on veut, au dortoir de la salle de discipline. Un pauvre diable, le n°3281 (berger, âgé de 17 ans, sans antécédents judiciaires, condamné pour attentat à la pudeur), y fut violé pendant la nuit du 17 au 18 juin 1899 : « Quatorze individus lui passèrent dessus. » Jugez de son état !

Comme sécurité, rien ne vaut les dortoirs cellulaires. Les prévôts y sont bien plus coulants que dans les dortoirs en commun, où certains condamnés « dorment éveillés » et se risquent parfois à moucharder les amis et leur complice. Et puis, les gardiens de ronde ne s'inquiètent guère de savoir si deux détenus sont couchés ensemble. Ils vont droit au contrôle, dans la hâte qu'ils ont de terminer leur corvée. Les dortoirs cellulaires sont d'anciens dortoirs en commun, à l'intérieur desquels ont été construites, à partir de 1897, pour la séparation de nuit, une série de petites cases, en briques, de 2 m. 01 de haut, sur 2 m. 29 de long et 1 m. 12 de large, grillagées, au-dessus et de face, avec des lamelles de fer feuillard. Néanmoins, à travers le toit de sa case, chaque condamné peut causer avec ses voisins. Mieux encore, dans certaines cellules adossées aux fenêtres, rien n'est plus facile que de se livrer à la masturbation réciproque.

Dans chaque moitié de dortoir, il existe deux rangées de cellules. Les portes s'ouvrent sur un couloir commun ; elles sont fermées au moyen d'une même tringle, aplatie, qui longe leur partie supérieure, et fait jouer, par l'intermédiaire d'un J à glissière, le pêne de la serrure. Au niveau de chaque ouverture, la tringle est munie d'une plaque de fer, en saillie. Celle-ci recouvre, quand la cellule est fermée, un taquet identique, vissé sur le battant de la porte. A la tringle, s'adapte un balancier qu'actionne une poignée-levier dont les gardiens seuls ont la clef. Du sens suivant lequel on le meut, dépend l'ouverture ou la fermeture des cellules.

Si ingénieux qu'il paraisse, tout ce mécanisme n'empêche pas les pensionnaires de se rendre visite. Pour ouvrir une cellule, les prévôts relèvent la tringle et écartent les taquets. En pressant, avec la pointe d'un couteau, sur la gâche de la serrure, la porte tourne sur ses gonds. Le voisinage du balancier réduit-il à néant le fléchissement de la tringle, ils enlèvent l'une des deux vis qui immobilisent le taquet de la porte ; ils impriment à ce taquet un mouvement de rotation et le tour est joué. Supposez, maintenant, que les vis de la plaque de fermeture soient martelées, en dedans, et qu'on empêche le fléchissement de la tringle, en fixant, au-dessus d'elle, de loin en loin, un galet, mobile sur un rivet ? le prévôt ne pourra plus remplir le rôle de portier. Mais alors, c'est à la serrure du levier qu'il s'attaquera. Un simple crochet permet d'agir efficacement sur elle. Aussi, l'administration locale pense-t-elle qu'il faut s'adresser à Fichet. Peine inutile ! Fichet lui-même sera vaincu.

Il s'est fondé, en 1895, dans la maison centrale de Nîmes, une société, dite des « pédérastes actifs ». Cette société compte vingt membres, dont un président, un trésorier et un secrétaire. Quand une vacance se produit, le bureau s'enquiert de la valeur morale des candidats. Dès le jour de l'admission, le récipiendaire verse, entre les mains du trésorier, une cotisation en tabac, cantine, linge, etc. Les dons et cotisations servent à secourir les pédés malheureux ou punis, à acheter le silence des prévôts, à tenter la cupidité des gamins. Chaque sociétaire doit fournir tous renseignements utiles sur les gironds de son atelier. Il se conforme, pour les cadeaux, aux tarifs en vigueur, et prévient ses confrères, s'il sait une de ces dames atteinte de maladie contagieuse. La société étant en rapport constant avec les portes, il en résulte force avantages dont les membres seuls ont le droit de jouir. Le président (solide gars, puni de la prison pour « vol qualifié ») ne manque pas d'intelligence.

Pendant la nuit du 25 au 26 juillet 1897, il fut prévôt, voici comment : A cette époque, les ouvriers de l'atelier de sculpture de pipes couchaient dans le même dortoir (11 bis) que les jeunes gens connus pour s'adonner à la pédérastie. Parmi ces ouvriers, se trouvait un nommé M..., batailleur de premier ordre, toujours prêt à se colleter. Le prévôt-chef, ayant eu la malencontreuse idée de lui chercher querelle, reçut une magistrale distribution. Au bruit de la lutte, le gardien-chef accourut et fit mettre en cellule les deux combattants et les quatre prévôts qui n'avaient pas prêté main-forte à leur collègue. Puis, avisant Ar..., le plus ancien détenu, il lui commit les fonctions de surveillant. Le chef parti, Ar... demanda un instant de silence. Tout le monde, aussitôt, de s'enfoncer hypocritement sous les couvertures, si bien qu'à dix heures on ronflait ferme, au passage des gardiens. Alors notre prévôt plaça un factionnaire à l'entrée du dortoir et, baissant le gaz, il clama : « Amusez-vous, les enfants ! je vous donne pleine carrière. » On cria, en choeur : « Vive le pédé. » Et chacun d'aller trouver sa mie.

Tantôt on entendait des soupirs, des petits cris étouffés, tantôt le bruit du briquet que l'on battait pour allumer une sibiche. A minuit, le gaz fut rallumé, on se tint coi. Mais une fois la ronde passée (la première ronde passe entre 8 heures et demie et 9 heures ; la deuxième et la troisième, vers minuit et trois heures du matin), la séance recommença de plus belle. Le trésorier avait été condamné pour « vol qualifié ». Comme prévôt-chef, il jouissait de la confiance de l'administration. C'était un homme pondéré, même en amour, et « Cerisette », sa maîtresse, affirme qu'il fut toujours un ami fidèle. Bien au contraire du trésorier, « l'aimable » président, lui, pratiquait l'indépendance du coeur, avec une admirable désinvolture. Toutes les dames de céans en étaient coiffées. Quant au secrétaire (receleur, au dehors ; comptable, en prison), il aimait ainsi que son chef de file, à butiner un peu partout. Parmi les membres de la société, on rencontre : 9 voleurs, 2 escrocs, 2 faux monnayeurs, 2 violateurs, 1 meurtrier, 1 condamné pour coups et blessures. Ce sont des récidivistes, rusés compères et joyeux drilles, debout dans l'âge (planche 121). Entre eux, pas de jalousie ; ils ne pratiquent le coït anal que faute de mieux.

Lisez plutôt ces vers de l'un des sociétaires :

L'AMOUR DES PETITS OISEAUX

Tandis que l'aurore charmante
Perçait à travers les barreaux,
J'ai vu, moi qui n'ai plus d'amants,
Se becqueter deux passereaux.

Sur le toit, près de la fenêtre,
Ils se caressaient gentiment,
Et l'amour, dans leur petit être,
Mettait tout son tressaillement.

Car les oiseaux, mignonnes âmes
Qui vont dans les nids se poser,
Sont des hommes et sont des femmes
Pour l'ivresse et pour le baiser.

Très heureux, n'ayant pour fortune
Qu'un abri sous ce toit profond,
Ils faisaient, sans malice aucune,
Tout ce que les gens libres font.

Et, dans la rosée claire et verte
Qui tombe du ciel, en été,
Nos amoureux, l'aile entr'ouverle,
Goûtaient le plaisir souhaité.

Avec des haussements de queue,
Ils rapprochaient, joyeusement,
Leurs plumes, qui paraissaient bleues
A force de rayonnements.

0 saintes choses défendues !
Ils se trémoussaient de plaisir,
Leurs pattes, grises, détendues
DansTapaisemenl du désir.

Puis, émerveillés d'être ensemble,
Us joignaient, encore une fois,
Leur joli petit corps qui tremble
Comme la fougère des bois.

Hanté par la saison nouvelle,
Le mâle, un paillard effronté,
Tourbillonnait sur la femelle,
Espoir de sa paternité.

L'oiselle, à peine effarouchée,
Fuyant, et, pourtant, se livrant,
Se tenait, un instant, penchée
Sous son superbe conquérant.

Thermidor leur faisait l'aumône
D'un plan d'horizon tout vermeil,
Et je regardais leur bec jaune
S'entremêler dans du soleil.

L'air chantonnait dans l'aube claire ;
La brise, au loin, ridait les eaux.
Ah ! bourreaux, quand pourrai-je faire
Ce que font les petits oiseaux ?

Dans la détention, grand est le nombre de leurs collègues en pédérastie active. Mais comme, là où il n'y a pas de femmes, il n'y a pas d'amour, les condamnés se moquent des camarades qui affichent des sentiments, par trop tendres, à l'égard des demoiselles en pantalon. Vienne la libération ! l'amour naturel reprend tous ses droits. La pédérastie par goût compte peu de partisans. Sitôt qu'ils apprennent, par la renommée, la venue d'un volaillon, les véritables amateurs épient toutes les occasions d'offrir leurs services au gamin. Chez eux, une simple pression de main détermine un frémissement lubrique. Aussi bien, ils n'éprouvent que répugnance pour l'amour naturel dont la femme, avec ses grâces et ses faiblesses, est le symbole. Ce sont de vieux débauchés qui tombent, tous plaisirs usés, dans les abominations de Sodome, cherchant à galvaniser, ainsi, leur sens génital affaibli ou éteint.

Au dire de l'un d'eux : La sensation que produit l'acte est fort agréable, lorsque le girond est, lui aussi, en érection. La verge est serrée fortement; puis, au moment psychologique, les contractions spasmodiques du sphincter accélèrent la jouissance. Et, si on saisit, à pleine main, le pénis du gosse, il semble que l'on se prolonge. Quand la verge du passif est flasque, ce qui arrive généralement, l'acte étant consenti par intérêt, plutôt que par passion, alors ce n'est plus ça. Pour avoir beaucoup de bonheur, il faut que le plaisir soit partagé. Les malheureux ! s'ils savaient jusqu'où peut aller la déchéance ! « A la longue, l'aptitude à la pédérastie active se paralysant à son tour, ils se livrent à la pédérastie passive qui peut faire momentanément recouvrer le rôle actif, ou constitue une compensation, et enfin à l'onanisme buccal, dernier terme de la dépravation, fin de toute puissance génésique ». Il paraît que l'intromission est plus difficile qu'on ne pense et qu'un girond reconnaît, tout de suite, s'il a affaire à un habitué ou à un novice. Dans son expédition avec « Nina », le « coureur » du greffe n'a jamais pu y arriver. « Nina » a montré, par une pantomime très expressive au moyen de l'index qui ployait devant son autre main fermée que le « coureur » avait fléchi.

[...] Sur 859 condamnés, 59 sont des prostitués, reconnus comme tels sans contestation aucune (6,86 %). A cette liste, le président de la société des pédérastes a ajouté 24 noms. Désireux de rester dans les limites de la certitude absolue, je ne m'occuperai que des premiers.

On rencontre :

1- Au point de vue de la pratique :
Passifs : 36 soit 61,01 %
Passifs et actifs (soupières) : 11 soit 18,64 %
Adonnés à l'onanisme buccal : 12 soit 20,33 %

Parmi les passifs, au premier rang, brille un jeune Italien [planche 45 du tome I : le portrait de Nina par un admirateur, accompagné du commentaire rimé suivant : "Je suis Nina la gigolette/ la plus belle de la maison/Et de moi plus d'une fillette/serait jalouse avec raison/Mes qualités sont anonymes/Si vous n'êtes pas convaincu/Venez à la prison de Nîmes/Et je vous montrerai mon C."], ancien chasseur dans un café à Gênes. Amené à Monaco par un client qui l'y abandonna, il fit la connaissance d'un nommé G... (planche 123), dont il partagea le lit. Il attirait les amateurs dans les endroits écartés, et leur vidait les poches, pendant que G... leur serrait le kiki. A la libération, son rêve est d'aller cascader, à Paris. Toutes les saletés que comporte la pédérastie, élevée au rang d'une profession, lui sont familières. Nina, comme on l'appelle, est assurément « la plus belle de la maison ». Il n'a que dix-sept ans et se trouve un peu en retard pour sa formation corporelle. Sa bouche est petite, ses yeux bien fendus, sou visage régulier. Nul ne possède un sourire plus canaille. « Malheureusement, les hanches lui font défaut. » Ce qu'il regrette de ne pas être fillette ! En se laissant aimer, aussi souvent que cela se peut, le temps passe vite : « l'intrigue distrait, et c'est si bon le plaisir défendu ! ». Mise à la salle de discipline, « Nina » griffonnait à un de ses adorateurs : « J'en viens folle de ta binette. Elle est blanchette et rougette. Je m'en suis fait plusieurs d'hommes. Non, non, crois-le, je n'ai jamais ressenti un bonheur plus grand qu'avec toi, car si tu savais comme tu caresses bien... J'espère ta visite prochainement. »

2- Au point de vue de la nationalité :
Français : 51 soit 86,44 %
Arabes : 1 soit 1,69 %
Italiens : 5 soit 8,47 %
Suisses : 1 soit 1,69 %
Espagnols : 1 soit 1,69 %

« L'Andalouse » est réputée tante de marque. Imaginez-vous un affreux personnage, âgé de trente ans, au corps velu, voûté, d'une maigreur effrayante, surmonté d'une tête de singe. On le dit passionné et rageur. A la moindre contrariété, il menace ses amis du couteau.

3- Au point de vue de l'âge :
De 16 à 20 ans : 29 soit 49,15 %
De 20 à 25 : 18 soit 30,80 %
De 25 à 30 : 5 soit 8,47 %
De 30 à 40 : 4 soit 6,77 %
De 40 ans et plus 3 " 5,08 %

Agés de 42, 49 et 66 ans, les trois derniers - un charpentier condamné pour attentat à la pudeur, un limonadier ayant reçu l'instruction primaire et un faux monnayeur - pratiquent volontiers la succion pénienne.

4- Au point de vue du degré d'instruction :
Illettrés : 7 soit 11,86 %
Sachant lire : 4 soit 6,77 %
Sachant lire et écrire : 33 soit 55,93 %
Sachant lire, écrire et calculer : 11 soit 18,64 %
Ayant reçu l'instruction primaire : 4 soit 6,77 %

A signaler, parmi les derniers, deux inséparables soupières : un « capitaine de voleurs » - jeune homme possédant une bonne instruction - et un petit voyou du même âge, condamné comme lui pour vol qualifié. C'était un ménage modèle. Quand l'un était puni, l'autre refusait le travail. Ils ne se quittaient pas. B... fut libéré le premier et jura à D... qu'il viendrait l'attendre. Celui-ci fut tellement affecté du départ de son partenaire, qu'il en perdit le boire et le manger. Il dépérissait à vue d'oeil et dut passer à l'infirmerie les quelques mois qu'il lui restait à faire. Pour son malheur, le jour de sa libération, B... se trouva devant la porte de la prison. Le couple ne tarda pas à avoir maille à partir avec la justice. On dit que la cour d'assises de la Haute-Loire vient de condamner ces deux individus, à la réclusion, pour « vols qualifiés ».

5- Au point de vue de la profession :

20 cultivateurs, domestiques, etc., 5 coiffeurs, 3 marchands ambulants, 3 serruriers, 2 boulangers, 2 pêcheurs, 1 cordonnier, 1 bijoutier, 1 tuilier, 1 mercier, 1 scieur de long, 1 galochier, 1 maçon, 1 garçon de café, 1 mineur, 1 limonadier, 1 charpentier, 1 berger, 1 tailleur, 1 chaisier, et 10 individus sans profession, au nombre desquels figure un Ardéchois, âgé de dix-huit ans, condamné pour vol qualifié très connu à Lyon et à Marseille sous le nom de « la Duchesse ».

Depuis sa première jeunesse, il prostitue son corps au plus offrant. Un fabricant de papiers l'entretint et l'affubla d'une livrée rouge et bleue, le donnant pour son groom. A la suite de plusieurs larcins, il fut congédié. Des trimards le menèrent à Lyon. L'un d'eux, souteneur de bas étage, le dressa à la retape. Enfin, las de recevoir des coups, le girond vint à Marseille, où, d'après ses confrères, il se choisit comme boudoir un water-closet. Dans l'établissement, il a essayé de coucher avec « Nina ». « J'ai que toi à la bonne, lui écrivait-il. Tu me dis que j'en est deux. C'est parce que je suis l'amie à la Gabrielle. Je suis forcé d'être sien, parce que je l'ai connu dehors. Je n'aime que toi... Je t'envoie un bon patin au fond de la bouche, jusque nous ferons autre chose. » Si gentille que fût « la Duchesse », « Nina » n'entendait pas de cette oreille. « La Duchesse » insista : « Je ne sais à quoi m'en tenir. Tu me dis oui ; tu me dis non. J'ignore si tu m'as à la bonne. Je voudrais bien faire des petites affaires avec toi. Je t'aime beaucoup. Si je te plaît, dis oui. Si je te plai pas, di non ; soi sérieux. »
« Nina » ayant catégoriquement refusé, notre Ardéchois jeta son dévolu sur le « coureur » du greffe, auquel il adressa le poulet suivant : « Mon très cher amie, je regrette beaucoup de ne pouvoir te parler librement. Je me suis aperçu que, quand je passe à côté de toi, tu me faisais risette. Je désirerais vivement te connaître. Moi et la petite Nina, nous sommes bons camarades. C'est pour ça que je le charge de mes commissions, parce qu'il est très sérieux. » Or, le « coureur » tapa dans l'oeil du commissionnaire. Et, le jour de l'Ascension, à midi précis, en l'an 1899, l'adoré descendit dans la cour, un papier à la main, appeler « Nina », comme si on la réclamait au greffe. Un gardien les suivit, à pas de loup, et les surprit dans une posture qui n'admettait pas la moindre contestation! La punition infligée fut trente jours de salle de discipline.

6- Au point de vue des crimes et délits :
Vol simple : 24 soit 40,67 %
Vol qualifié : 21 soit 35,59 %
Abus de confiance : 1 soit 1,69 %
Fausse monnaie : 3 soit 5,08 %
Attentats à la pudeur : 5 soit 8,47 %
Coups et blessures, rébellion : 2 soit 3,38 %
Meurtre : 2 soit 3,38 %
Empoisonnement : 1 soit 1,69 %

L'individu, condamné pour « abus de confiance », était âgé de trente ans. Il avait la passion de pédérer ses amis et de les sucer ensuite. Il fut successivement prévôt-chef et comptable général. Jamais on ne vit détenu plus orgueilleux. Il avait l'intime conviction que la Centrale ne pouvait marcher sans lui. Les jobards le croyaient « enseigne de vaisseau ». Le pauvre! il n'était que crieur sur le bateau qui va de Marseille au château d'If.

7- Au point de vue du nombre de condamnations :
Récidivistes : 46 soit 77,96 %
Sans condamnation antérieure : 13 soit 22,03 %

Voici un gamin, écroué de la veille et pour la première fois. Classé comme un colis dans un atelier, sans argent, sans soutien, inexpérimenté, au milieu de gens de sac et de corde, étrangers pour la plupart à tout sentiment de pitié, il est forcément une proie facile. Ceux qui ont le plus d'autorité, comme intelligence ou comme force brutale, essaient de l'accaparer. Le petit est choyé, caressé ; la cantine lui est gracieusement offerte. On lui donne du tabac, du linge, etc. Intrigué, il se demande à quoi rime tout cela. Bientôt, des allusions libertines, des sous-entendus libidineux lui font entrevoir une partie de la vérité ; mais il se rassure, en se voyant enfermé, le soir, dans une petite cellule. Quelle n'est pas sa stupéfaction de sentir, une belle nuit, un de ses admirateurs se glisser dans son lit ! Il veut protester, crier. La persuasion, la menace, la reconnaissance des services rendus amollissent sa résistance; il cède et se tait. Désormais, il est perdu. Heureux encore, si, dans son séducteur, il a rencontré un homme qui le fasse respecter et ne l'abandonne pas. Mais, le plus souvent, il est traité comme un objet d'utilité publique. Tous les soirs, les amateurs se succèdent. L'odeur du coït met en rut la vile tourbe des pédérastes, et l'infortuné jeune homme est obligé, sous peine d'être maltraité, de subir les volontés et les brutalités de ses codétenus. Qu'arrive-t-il ? Peu à peu, il accepte son rôle de « femme », il devient même provocateur. Et, c'est ainsi que cet imberbe - presque un enfant - que la prison devait corriger, se transforme, sous les assauts réitérés de ces mâles assoiffés de luxure, en une infecte catin qui n'a de l'homme que le nom.

8- Au point de vue de la population :
Urbains : 42 soit 71,18 %
Ruraux : 17 soit 28,81 %

Un rural, gentil garçon de dix-neuf ans surnommé « Zoizeau », réalise le type rêvé par les pédérastes : il est petit de taille, brun, glabre, le teint mat, avec de grands yeux ombragés de longs cils, cet adolescent fut bientôt un des gironds le plus à la mode. « Quelques semaines après mon incarcération, raconte un sociétaire, il me tomba sous les yeux. N'étant pas de son atelier, je me contentai de le regarder de loin. Une punition de salle de discipline nous fit faire connaissance. Nous marchions l'un derrière l'autre. Son bon appétit me frappa. Or, « Zoizeau » ne recevait aucun secours
de la détention, cependant que mes collègues me comblaient de douceurs par l'intermédiaire du prévôt. Au dortoir, je lui vidai le fond de mon sac. « Sans trop d'hésitation, il accepta mes services. Dès ce jour, il appartint à tous ceux qui voulurent l'aimer. D'un caractère soumis, il ne savait pas ou n'osait point refuser. »

9- Au point de vue du tatouage :
Tatoués : 33 soit 55,93 %
Non tatoués : 26 soit 44,06 %

Une femme en pied, une M et une pensée avaient été tatouées sur le bras d'un coiffeur, âgé de vingt ans, qu'on appelait « Marcelle ». « Quand l'occasion se présentait, « Marcelle » passait la main dans la poche de votre pantalon, tout naturellement, sans avoir l'air de rien. » La phtisie l'emporta. Quel que soit l'emblème (botte, ancre, croix de cimetière, bague, médaillon ou étoile), un tatouage sur la verge est un signe de pédérastie. Les cinq individus tatoués sur cette région sont des récidivistes : 1 a été condamné deux fois, 2 quatre fois, 1 cinq fois et 1 sept fois.

10- Au point de vue du visage :
Ovale : 42 soit 71,18 %
Allongé : soit 2 3,38 %
En losange : 9 soit 13,25 %
Large : 3 soit 3,08 %
Arrondi : 3 soit 5,08 %

Il a un visage ovale, des yeux langoureux et une physionomie douce, le polisson, désigné sous le nom de « la Lyonnaise ». Timide, le jour, « il paillardait ferme, la nuit, et professait un certain mépris pour ceux qui étaient mal montés. ». Quoiqu'il ne se donne pas pour rien, il ne demande point d'étrennes, mais il laisse comprendre, en faisant le câlin, les besoins qu'il a. Il ne parle de lui qu'au féminin.

1- Au point de vue du front :
Inclinaison intermédiaire : 39 soit 66,10 %
Inclinaison verticale : 15 soit 25,42 %
Inclinaison fuyante : 5 soit 8,47 %

« Georgette » est un grand diable de vingt-cinq ans, au front fuyant, à la démarche saccadée. Son regard baissé va droit à la braguette de ses codétenus. Ceux-ci s'accordent à lui reconnaître un talent remarquable. Traité, à l'infirmerie, pour une fièvre muqueuse, il racola dès sa convalescence, prétendant que l'opération lui serait plus salutaire que toutes les ordonnances du toubi. « Il ne fait pas ça pour l'argent, mais pour le plaisir » ; et lorsque l'actif est un besogneux, il lui offre une bonne ration de cantine, car « un affamé n'est point en état de se bien conduire ».

12- Au point de vue du nez :
Base horizontale : 34 soit 37,62 %
Base relevée : 25 soit 42,37 %

Fortement retroussé est le nez de « la Négresse ». Faute de clientèle dans la vie libre, cet homme âgé de vingt-sept ans réintègre joyeusement la maison - au moyen du vol - certain d'y trouver des actifs que n'effarouchent pas une barbe hirsute, une tignasse poisseuse et une poire passablement blette. Bien entendu, avec « la Négresse », c'est gratis. S'il en était autrement, personne ne consentirait à marcher.

13- Au point de vue de la bouche :
Petite : 9 soit 15,25 %
Grande : 2 soit 3,38 %
Moyenne : 48 soit 81,35 %

A coins abaissés : 4 soit 6,77 %
A coins : 6 soit 10,16 %
Rectiligne : 49 soit 83,05 %

Bée : 5 soit 8,47 %
Pincée : 4 soit 6,77 %
Ouverture intermédiaire : 50 soit 84,74 %

A noter, chez 4 de ces individus, des lèvres épaisses. Dans un cas, la lèvre supérieure est retroussée ; dans un autre, l'inférieure est pendante. Ce dernier n'y va pas par quatre chemins. A la condition qu'il y ait du comestible a la clef, il est prompt à laisser tomber le pantalon.

14- Au point de vue du menton :
Saillant : 9 soit 15,23 %
Fuyant : 7 soit 11,86 %
Droit : 43 soit 72,88 %

J'ai compté 10 prostitués ayant une fossette au menton. « Le Niston » en offre le plus bel exemple. Avec lui, pas de crédit ; il faut casquer d'avance ! Et encore n'accorde-t-il ses faveurs qu'à ceux qu'il croit discrets.

15- Au point de vue de l'oeil:
Iris orange : 24 soit 40,67 %
Iris châtain : 12 soit 20,33 %
Iris jaune : 13 soit 22,03 %
Iris impigmenté : 7 soit 11,86 %
Iris marron : 3 soit 5,08 %

Dix-huit ans, cheveux châtains, yeux marrons, pas un poil de barbe, regard « fascinateur », tel est le portrait sommaire de « Petite Crotte », hétaïre des plus huppées.

16- Au point de vue du teint :
Brun : 34 soit 57,62 %
Clair : 17 soit 28,81 %
Mat : 4 soit 6,77 %
Blond : 4 soit 6,77 %

La spécialité de la blonde « Juive » (marchand forain âgé de vingt-six ans), c'est la succion pénienne. S'il se soumet parfois à d'autres exigences, il ne le fait qu'à contre-coeur, trouvant cela « brutal ».

17- Au point de vue de la carrure :
Moyenne : 44 soit 74,57 %
Grande : 8 soit 13,55 %
Petite : 7 soit 11,86 %

De carrure petite et d'esprit sémillant, « la belle G... » touche à ses dix-sept ans. Il n'a nulle honte de son métier d'entraîneur : il essaie les jeunes gens qui lui sont confiés à l'apprentissage, il leur offre la réciproque et les fiance à des gaillards dont il connaît par lui-même la générosité.

18- Au point de vue de la taille :
Taille au-dessous de 1 m. 60 : 14 soit 23,72 %
de 1 m. 60 à l m. 65 : 2 soit 45,76 %
de 1 m. 63 à 1 m. 70 : 11 soit 18,64 %
de 1 m. 70 et plus : 7 soit 11,86 %
Et, moyenne générale de la taille : 1 m. 628.

[Le docteur Perrier poursuit son propos par une série de relevés anthropométriques - mesures du buste, du pied gauche, de l'oreille droite, de la forme du crâne, etc. - dont on trouvera ci-dessous le tableau censé rassembler les différentes données...]



[...] Considérés d'après la nationalité, les gironds présentent les proportions que voici :
Français : 51 sur 652, soit 7,82 %
Étrangers : 8 sur 207 soit 3,86 %
Ensemble : 59 sur 859 soit 6,86 %

Cette prédominance des prostitués français s'explique par ce fait que les condamnés français de 16 à 20 ans (98 sur 652, soit 15, 03%), sont en nombre supérieur à celui des étrangers (10 sur 207, soit 4, 83 %). C'est en effet dans la catégorie de seize à vingt ans que se recrutent 49,15 % des gironds. Celle de vingt à vingt-cinq ans en fournit 30,50 %. A partir de cet âge, le prostitué semble avoir conscience de l'infamie de ses pratiques, il se cache. On ne rencontre, parmi les vieux, que des professionnels et des névrosés. Les illettrés, ceux qui savent lire et ceux qui savent lire et écrire, sont en proportion inférieure, dans chacune de ces mêmes catégories d'instruction, aux catégories correspondantes de l'ensemble des condamnés. L'inverse se produit, dès qu'on aborde les degrés plus élevés : au lieu de 10.82 % d'individus sachant lire, écrire et calculer, on en compte 18.64 % chez les prostitués. Au point de vue de l'instruction primaire, la proportion des prostitués est un peu plus du double, soit :

Ayant reçu l'instruction primaire :
Prostitués : 4 sur 59, soit 6,77 %
Population détenue : 27 sur 859 soit 3,14 %

Cela n'a pas une grande importance, en raison même du petit nombre de condamnés possédant ce degré d'instruction. Dans la vie libre, la plupart des prostitués n'exercent aucune profession. Sous les verrous, au contraire, les mômes sont des ouvriers actifs et habiles. Est-ce une question de ventre ? Et ces dames, gourmandes à l'excès comme les prostituées de l'autre sexe, trouvent-elles insuffisanles les nombreuses friandises de cantine qu'elles reçoivent de leurs amants et veulent-elles avoir un pécule pour s'offrir elles-mêmes des primeurs ? N'est-ce pas, plutôt, dans le but de masquer leurs dérèglements honteux et de se concilier les bonnes grâces de l'Administration, que les prostitués travaillent avec ardeur? Pour eux, le linge de corps est un souci constant ; ils aiment à s'attifer, et, dans la conversation, se traitent de soeurs. N'empêche qu'ils se jalousent et se calomnient. En général, quand ils se choisissent un ami, ils lui sont fidèles. Quelques-uns, cependant, pratiquent le truc, avec la permission de leur « petit homme », auquel ils apportent le produit des passes. Souvent aussi, ces efféminés se prennent de passion pour une salope de leur espèce, et on est à se demander lequel des deux fait le mâle. Peu se corrigent en vieillissant ; ils restent passifs jusqu'à ce que l'âge les oblige à prendre la retraite. Ils deviennent alors tantes ou copailles et se livrent à l'onanisme buccal.

Chez les prostitués, la proportion des crimes contre les personnes est bien inférieure à celle de l'ensemble des condamnés (16,94 % au lieu de 25,49 %). Partant, la proportion des crimes contre les propriétés l'emporte (83,05 % au lieu de 74,50 %). Le vagabondage et le vol sont bien le propre de ces gens-là. 77,96 % des prostitués sont des récidivistes (proportion énorme, étant donné le jeune âge des gironds). Tout au contraire, dans l'ensemble des condamnés, on ne rencontre que 70,66 % d'individus ayant des antécédents judiciaires. La différence, entre ces deux chiffres, établit l'influence néfaste des maisons de correction. Les individus, adonnés aux travaux des champs, sont moins portés à la passivité que les urbains. Ainsi, les ruraux se trouvent, parmi les prostitués, en proportion bien inférieure à celle qu'ils présentent parmi les condamnés de tout acabit (28,81 % au lieu de 43,42 %). On compte, parmi les prostitués, 55,93 % de tatoués, soit 15,65 % de plus que chez les condamnés. Et cela, non seulement parce que les prostitués ne sont pas habitués à discuter les caprices de l'ami, mais encore par suite de l'influence plus grande qu'exercent sur eux les milieux pénitentiaire et urbain.

Les tatouages observés sont généralement, sans importance. Ils comprennent : des initiales, points, ancres, pensées, bracelets, coeurs, étoiles, oiseaux, poignards, bagues, fleurs, etc., etc., un âne en redingote lisant l'alphabet, une verge et des inscriptions : « enfant du malheur », « marche ou crève », « court fainéant », etc., etc. Si on les oppose à l'ensemble des condamnés, on constate, chez les prostitués, une moindre proportion de visages à forme arrondie (4,34 % en moins), de visages à forme large (6,79 % en moins), de fronts à inclinaison fuyante (8,47 % au lieu de 20,72), de mentons saillants (1,97 % en moins), de mentons fuyants (3,85 % en moins), et un excédent (12,57 % en plus) de nez à base relevée. Chez les condamnés, on note une proportion inférieure de bouches moyennes (4,41 % en moins), et, à l'inverse des prostitués, les bouches grandes l'emportent sur les petites (0,94 % en plus). Les prostitués comptent moins de bouches à coins relevés et à coins abaissés, et moins de bouches à ouverture bée et à ouverture pincée. A signaler, chez eux, une proportion plus élevée d'iris impigmentés et moins d'individus à teint brun. Chez les prostitués, comme pour l'ensemble des détenus, les carrures moyennes dominent, à égalité près. Et, ce qui ne surprendra personne, il est moins de carrures grandes et plus de carrures petites chez les prostitués. Quelle que soit la catégorie d'âge - exception faite pour celle de 25 à 30 ans, où la taille des prostitués dépasse la taille des criminels en général - les prostitués sont plus petits. Chez les uns comme chez les autres, la taille atteint son maximum à 30 ans. La diminution est plus brusque et plus sensible chez les prostitués. Bien entendu, chez ces derniers, en raison de leur âge, il y a une proportion moindre de grandes tailles. Pour les tailles au-dessous de 1 m. 60, la proportion est la même. Mais, dans les tailles de 1 m. 60 à 1 m. 65, on trouve un surplus de 19,22 %, chez les prostitués.

[...] La grande majorité des prostitués appartient à la classe pauvre. D'aucuns ont contracté le vice de la pédérastie par la débauche réciproque entre gens qui couchent ensemble et qui n'ont pas les moyens pécuniaires d'aller voir les femmes. La plupart sont des paresseux que l'espoir du lucre pousse aux pires hontes. Ici, on note un défaut d'intelligence, d'esprit de conduite, de moralité ; là, une grande faiblesse de caractère, le manque absolu de volonté. Aussi bien, une tare héréditaire pèse sur le système nerveux de beaucoup de gironds et la persistance des mêmes pratiques amène un dérèglement sans limite et sans remède. La prostitution pédéraste est vieille comme le monde. On s'en plaignit autrefois, on s'en plaint aujourd'hui, on s'en plaindra toujours; elle ne disparaîtra qu'avec l'humanité. Toutefois, il semble que la révision de la loi, qui concerne les jeunes détenus, diminuerait, dans une certaine mesure, le nombre des prostitués."

extraits de "La pédérastie en prison" par Charles Perrier (1862-1938), médecin à la prison centrale de Nîmes, in Les Criminels Tome II et Les Archives de l'Anthropologie Criminelle, 1900.

vendredi 19 novembre 2010

Un crime passionnel homosexuel ? L'affaire Renard


En février à Paris, puis en juin 1909 à Versailles se tient le "procès Renard" : un maître d'hôtel nommé Pierre Renard, âgé de quarante-huit ans, marié et père de deux garçons de cinq et douze ans, est accusé sans véritable preuve de l'assassinat de son maître, M. Auguste Henri Célestin Rémy, soixante-dix-sept ans, dans son "coquet petit" hôtel particulier, 25 de la rue de la Pépinière, en complicité avec le jeune valet de chambre Georges Courtois, âgé de dix-sept ans. "Depuis le crime commis par Marchandon qui assassina sa maîtresse, Mme Cornet, chez laquelle il n'était entré avec de faux certificats que pour la cambrioler, aucun crime domestique n'a causé plus d'émotion dans la société parisienne que l'assassinat de M. Rémy, l'agent de change, par un ou deux de ses domestiques. Nous disons un ou deux pour ne pas tomber dans les errements de nos confrères qui, usurpant tranquillement le rôle de justiciers amateurs, attaquent ou soutiennent Courtois selon qu'ils croient ou ne croient pas à la culpabilité de Renard. Certains articles de ces messieurs qui pourraient se borner à raconter les faits, ressemblent à de furieux réquisitoires contre Courtois ou contre Renard. Ce qui est sûr, c'est que M. Rémy a été tué par un ou deux de ses domestiques, au milieu d'un personnel nombreux, au coeur même de Paris [...]." (La France illustrée, 8 août 1908).
Le "mystère de la rue de la pépinière", son instruction quelque peu hasardeuse, les révélations "sensationnelles" qui la ponctuent, tout cela fait vendre du papier, comme en témoigne la place que lui accordent les journaux. "Il n'est pas un Parisien qui, depuis quelques, semaines, ne se soit cru un rival de Sherlock Holmes. Jamais on n'a tant philosophé sur la psychologie des criminels et expliqué avec plus de perspicacité la méthode d'information. [...] Pour l'heure, nous sommes divisés en deux camps les Renardistes, qui croient à l'innocence du maître d'hôtel, et les anti-renardistes, qui le considèrent comme le véritable instigateur de l'assassinat. Avec un peu d'imagination, on se croirait revenu aux beaux jours de l'Affaire, où dans les dîners de famille, on se jetait à la tête des assiettes et des invectives. Pour un beau crime, c'est un beau crime, et qui fait aller les langues et la police" (La Presse, 28 Juillet 1908)

L'Affaire, c'est bien sûr l'affaire Dreyfus. "Ah!, lit-on dans L'Humanité de Jean Jaurès, je ne sais si Renard est coupable, je ne sais s'il est l'homme vicieux que l'accusation prétend, mais je songe que si, enfant, il n'eût pas été contraint d'abandonner le foyer familial pour se plier aux caprices des maîtres, s'il n'eût pas le caractère faux et onctueux qui lui permit de stimuler les sentiments chers à ses patrons du jour, s'il n'eût pas été exposé aux promiscuités mauvaises, peut-être il eût pu être un autre homme. [...] J'ai écouté avec attention toutes les charges qui pèsent sur le maître d'hôtel et je suis stupéfait : toute l'accusation repose sur les déclarations d'un gamin menteur et à la physionomie peu sympathique, complétées par les racontars d'un dégénéré, par des récits contradictoires et des incertitudes." C'est encore là, sous la plume de Jules Uhry, que l'on trouve un récit qui ne cherche pas à prendre parti mais s'attache plutôt à dénoncer "les procédés singuliers employés par la Sûreté pour cuisinier les témoins et établir une instruction". Pointant de nombreuses irrégularités tout au long des débats, Uhry fustige "la justice bourgeoise" et les "expertises" de M. Bertillon, l'homme au gabarit, qui a le triste courage, quand il ne peut trouver des empreintes, de dire aux jurés, non pas comme un homme loyal 'je n'ai rien trouvé', mais 'il y a des assassins dont on ne peut jamais retrouver la trace'" (L'Humanité, 7 février 1909).

"Que reproche-t-on à Renard?, s'interroge La Presse, Nous ne parlons pas en ce moment de ses moeurs spéciales et inavouables, puisque le fait a été reconnu. On reproche à Renard son caractère hautain et pointilleux. [...] Le coupable présumé rendait la vie dure non seulement au personnel mâle de l'hôtel, mais aussi aux cuisinières qu'il ne cessait de morigéner et de contrôler. Les dépenses étaient rigoureusement vérifiées par lui à un tel point que les cuisinières préféraient s'en aller plutôt que d'être sous ses ordres. Enfin, Renard était particulièrement mal vu parce qu'il dédaignait de 'potiner' dans le quartier. 'Il le faisait vraiment trop au monsieur! nous dit-on. Jamais il ne se serait arrêté à causer ou à boire chez les commerçants du quartier!' Courtois était particulièrement l'objet de ses sévérités. Mais ne l'avait-il pas pris sous protection et fait entrer chez M. Rémy? Dès lors n'était-il pas tout juste qu'il tint à ce qu'il fît un service irréprochable?" (La Presse, 26 juillet 1908). Dans L'Humanité, Uhry nous décrit "Renard, le masque glabre, les cheveux blanc, vêtu d'un complet veston, a l'air d'un milliardaire américain ou d'un sacristain. Sa voix est sourde et brève. Courtois, jeune homme imberbe, aux cheveux en brosse, au front et aux yeux fuyants, au nez mince et pincé, produit l'effet d'un élève séminariste." On apprend que Renard est sorti de l'école à l'âge de onze ans, puis placé comme domestique, valet de pied, valet de chambre et maître d'hôtel, jusqu'au moment où il entre, en octobre 1906, au service de la famille Rémy.

Après avoir brossé le portrait de l'accusé et exposé la nature de ses rapports avec ses maîtres et le reste du personnel, énuméré la maisonnée puis fait le récit du drame, le président Bourboy arrive aux relations de Renard avec le neveu de Rémy, Léon Raingo, orphelin âgé de seize ans : "Le président - Vous étiez uni à ce jeune homme par les liens de la plus répugnante intimité; vous lui écriviez des lettres significatives; vous vous livriez sur lui à des actes contre nature. Renard - C'est lui qui m'avait autorisé." (L'Humanité, 5 février 1909). "Il y avait entre lui et le jeune Raingo, note Georges Grison dans Le Figaro, une amitié suspecte. Léon Raingo était un enfant débile et souffreteux, dominé par le valet débauché. Des lettres anonymes dénoncèrent à Mme Rémy, toujours confiante, demanda au vieux serviteur de surveiller plus étroitement l'enfant et de lui éviter, à la sortie du lycée, des rencontres que le docteur Brocq estimait fâcheuses. Cela n'empêcha pas Raingo de faire la connaissance rue de la Chaussée d'Antin d'une jeune femme de moeurs faciles, Georgette Laforge. Celle-ci découvrir un jour dans la poche du jeune homme une lettre très explicite de Renard. Après le meurtre de M. Rémy, Georgette Laforge porta la lettre au juge d'instruction. On interrogea Léon Raingo : il ne cacha rien de la vérité. Les soupçons se portèrent sur le maître d'hôtel. [...] Voici les faits tels que l'accusation les rapporte : [...] Le départ des Rémy pour la campagne approche, et M. Rémy a décidé que son neveu Raingo n'ira les rejoindre qu'aux grandes vacances; en attendant il ira chez sa grand'mère Mme de Virgile, Mme Rémy n'était pas de cet avis et le 6 juin, à déjeuner, une scène violente éclata entre les époux. [...] Le soir du meurtre, Renard, joyeux, disait au jeune Raingo : 'Maintenant, nous serons tranquilles, tu n'iras plus au collège!' [...] M. Rémy disparu, rien ne l'aurait plus séparé de Raingo. Crime passionnel, dit l'accusation." (Le Figaro, 4 février 1909).

En appel, son avocat, Maître Monira, rappelle que Renard fut arrêté aussitôt que ses relations avec Raingo furent connues. "Alors on s'empressa de faire 'cadrer' les constatations matérielles avec l'hypothèse de Renard coupable. Le rapport du docteur Vibert, du 29 juin, est formel : rien n'indique que le crime eût été commis par deux personnes. L'accusation s'arrête donc à l'hypothèse du crime commis par Renard seul. Puis, on arrêta Courtois et alors, au lieu d'abandonner Renard, on abandonne l'hypothèse et on démontre aussi facilement que le crime n'a pu être commis que par deux assassins. Le jour de l'accusation de Courtois fut pour moi un trait de lumière. Je ne connaissais le valet de chambre que de l'avoir vu à l'instruction accuser Renard - et cette accusation montre que l'hypothèse de la complicité est absurde. Je crus alors que la libération de Renard s'imposait. Mais Courtois, qui avait suivi l'instruction, savait que la police avait un parti-pris contre Renard. Il y avait là une tentation trop forte; il y est tombé, et il a raconté que Renard l'a conduit au crime, a tout combiné, a tout imaginé. [...] Le 20 juillet, Courtois affirme qu'il n'a pas eu de relations avec Renard, alors que le 5 septembre, il fait des déclarations contraires. Le 5 août eut lieu une reconstitution du crime dont Renard fut exclu. A la suite des objections qui lui furent faites, Courtois modifia ses déclarations. Il n'en fut pas moins obligé dans une confrontation postérieure avec Renard de se reconnaître une plus grande part de responsabilité." (L'Humanité, 23 juin 1909). Pour la défense, c'est Courtois seul qui a dépouillé et tué Rémy. Thèse corroborée par les déclarations d'un jeune forçat condamné à six ans de travaux forcés nommé Deliot. "Actuellement à l'île de Ré où il attend le prochain départ pour le bagne, [il] aurait reçu en même temps que deux autres forçats les confidences de Courtois quelques jours avant la mort du jeune criminel. Le valet de chambre leur aurait avoué qu'il avait accompli, seul, son horrible forfait." (L'Humanité, 9 juin 1909). Deliot, "un petit garçon à figure timide", livre une déposition faite "en termes fort simples [qui] paraît sincère" tandis que d'autres témoins achèvent de montrer Courtois comme un menteur et un "hystérique accusateur". Le gardien-chef rapporte certains de ses propos ("L'aumônier ressemble à Renard, il a une tête de p...." - tout ça parce qu'il lui avait pris le bras "d'une façon qui lui avait déplu") tandis que le docteur rapporte avoir déclaré à la mort de Courtois : "Ce n'est pas une perte; en écoutant ses propos, on enverrait d'honnêtes gens au bagne." (L'Humanité, 18 juin 1909).

Dans sa plaidoirie en appel, Maître Monira montre pourquoi Courtois invente opportunément des "relations" avec Renard, "relations que Renard a toujours niées, que Courtois a niées le 20 juillet dans son premier récit et le 27 juillet dans une confrontation avec Renard et Raingo. Le 5 septembre, Courtois affirme les relations; étonné de cette révélation singulièrement tardive, je lui ai demandé à la Cour d'assises de la Seine pourquoi il n'en avait pas parlé dès le début. Il a répondu qu'il avait eu honte. C'est là une mauvaise explication car il avait avoué le vol et l'assassinat qui sont autrement graves; en réalité, il avait, en réfléchissant, compris quelle défaveur avait jetée sur Renard la révélation des relations avec Léon Raingo et il avait cru utile d'accabler Renard avec une accusation de même nature. C'est Courtois qui dit la vérité, proclame l'accusation, car il a donné sur la conformation de la verge de Renard des précisions qu'il n'a pu connaître que par les relations. Vous savez en quoi consiste cette, particularité : Renard est atteint d'hypospadias, c'est-à-dire que chez lui le méat urinaire au lieu d'être à l'extrémité se trouve au-dessous du gland. Dans quelles conditions Courtois a-t-il décrit cette particularité ? Il n'en a pas dit un mot le 5 septembre lorsqu'il à parlé pour la première fois des relations. A la confrontation du 9 septembre, Renard a nié les relations en traitant avec énergie Courtois de menteur. Celui-ci s'est borné à affirmer les relations, il n'a pas fait la moindre allusion à ce détail qui pouvait confondre Renard. Ce n'est qu'après la confrontation, après le départ de Renard et de son avocat, que Courtois sur une question extrêmement précise a parlé de la malformation. C'est avec cela qu'on prétend nous accabler, on nous somme de dire comment Courtois a pu être renseigné sur cette particularité. Nous répondons que la malformation a été décrite dans un rapport du docteur Vibert déposé le 28 juillet, que ce rapport a été légalement dès cette date à la disposition du défenseur de Courtois. [...] Si Courtois avait constaté la malformation d'une façon certaine dès le 3 juin, il n'aurait pas subi à la confrontation du 9 septembre les démentis de Renard sans lui opposer cet argument saisissant que constitue la connaissance de la malformation. Courtois n'a rien dit à la confrontation, cela est inconciliable d'une façon absolue avec l'existence des relations. Un autre fait contredit l'existence des relations : Courtois ne parle pas, n'a jamais parlé d'une autre particularité de Renard qui porte un bandage herniaire. Ces scènes mutuelles que décrit Courtois impliquent la connaissance complète des parties sexuelles de Renard. Il m'est difficile sur ce point de m'expliquer crûment, et cependant je tiens à être précis; aussi je vous demande d'écouter cette partie de mes explications avec le souvenir des précisions apportées au cours des débats. Nous ne pouvons pas croire que la lubricité se serait limitée, réduite au minimum; c'était d'autant plus difficile que Courtois avait une main très forte, et, si je suis d'accord avec M. le Procureur de la République qu'une exploration complète n'était pas possible, par contre Courtois n'aurait pas pu ignorer, s'il avait eu des relations avec Renard, l'obstacle dont on vous a parlé c'est-à-dire le bandage; et il n'aurait pas manqué de signaler cette particularité devant les démentis de Renard. Courtois n'a pas connu la hernie, ni le bandage, nous sommes forcés d'en conclure qu'il n'a pas eu avec Renard les relations qu'il prétend. En ce qui concerne Renard nu, le docteur Vibert indique que le bandage porté depuis longtemps laisse une trace très visible sur la peau. Courtois qui nous représente Renard nu participant an crime ne fait aucune allusion à cette trace du bandage tout à fait apparente, facile à constater, à signaler sans qu'il soit besoin de connaissances techniques. Il y a là un point capital : Courtois invité à décrire Renard nu ne parle pas de la trace du bandage : nous pouvons en conclure avec certitude que Courtois n'a jamais vu Renard nu et par là toute l'accusation est ruinée."

La déposition du brigadier appelé sur les lieux du crime est symptomatique : il "déduit de ce que Renard a des moeurs inavouables qu'il doit être l'assassin"... C'est que l'homosexualité de Renard sert d'épouvantail et de mobile providentiel à cette sordide affaire. Les Archives d'anthropologie criminelle de criminologie et de psychologie normale et pathologique relient l'affaire Renard aux "anamorphoses sentimentales qui caractérisent l'espèce de folie érotique qu'on appelle pédérastie". "Le seul moyen, ou du moins le meilleur à notre connaissance, pour faire, nous ne disons pas comprendre, mais percevoir les conséquences les plus extraordinaires de l'inversion sexuelle, consiste à recommencer les scénarios suspects en dépouillant entièrement de leur sexe certains des acteurs, pour les affubler de la personnalité féminine (ou inversement). [...] Transposé de cette façon, le récit suivant des aventures dramatiques dont l'hôtel du financier Y... fut le théâtre, devient des plus banals, l'imagination d'un chacun suffisant pour en achever la compréhension : « Un valet de chambre, frisant la cinquantaine, appelé de par ses fonctions à rendre des soins journaliers de domesticité à une jeune parente de son maître, ne tarda pas à en tomber follement amoureux. La jeune fille abusée par les premières. manifestations de l'adolescence, finit par céder aux manoeuvres du rusé domestique dont la passion couronnée de succès s'accrut au delà de toute expression. Le tuteur, vigoureux vieillard de soixante-quinze ans, accidentellement mis au courant de ce qui se passait sous son toit, prit immédiatement la résolution de renvoyer sa fille adoptive dans un pensionnat et de chasser le valet suborneur. Quelques heures plus tard, l'infortuné vieillard était assassiné par des mains inconnues. L'enquête judiciaire démontra que le vol avec effraction qui suivit l'assassinat n'avait pu être accompli que par deux individus, dont l'un, en ne prélevant pas sa part de butin, sembla avoir obéi à un mobile autre que le vol immédiat, etc. » Voilà, en quelques lignes, débarrassé de toutes les circonstances accessoires, le crime dont on a dit que le mobile passionnel n'avait pas été établi ! Il nous a suffi, pour le rendre sensible à tous, d'intervertir le sexe de l'un des acteurs. Faut-il rappeler qu'en le faisant nous n'avons, pour ainsi dire, rien ajouté aux faits connus, inversion sexuelle de Renard ayant été établie indiscutablement et par ses propres aveux et par la saisie de la correspondance extraordinaire qu'il entretenait, avec le jeune .....o, celui que nous avons dû habiller momentanément en jeune fille. L'intercalation de cet écran à travers les faits et gestes de nos sujets a suffi, comme une plaque de cyanure de barium à travers un faisceau de rayons Rontgen, pour rendre perceptible à nos sens ce que, jusqu'ici, nous hésitions à admettre faute d'une perception suffisante."

"Quoiqu'on affirme à chaque instant, écrit Uhry dans L'Humanité (17 juin 1909), le désir unanime de rechercher la vérité, ce n'est là que de la phrase. En réalité on sent une hostilité non dissimulée contre l'accusé. Le président [...] dirige les débats avec une telle fièvre, une telle hâte de bâcler l'affaire par une condamnation, qu'il laisse à peine Renard - qui risque sa tête - formuler ses objections, et les défenseurs luttent pour remplir leur tâche, tandis que le l'accusation est libre de poser toutes les questions. D'autre part, le public, au lieu d'observer le calme qui convient à des spectateurs impartiaux, manifeste violemment contre la défense sans être réprimé. C'est odieux!" Et plus loin : "Quel que soit l'accusé, aussi mauvaise impression fasse-t-il, on ne peut le priver des garanties légales et il est impossible qu'on transforme, si je puis faire cette comparaison, une cour d'assises en tribunal ou en commission d'exécution sommaire."

Le procureur de la République Fabre de Parel, "qui ricane pendant que la défense parle, [et] a commis sciemment des irrégularités, presque des illégalités" (dixit toujours Uhry) n'a pas de mot assez sévère pour qualifier Renard, qu'il présente comme "un égout collecteur" dont la "conscience était pétrie de boue salie par toutes les déjections"."Aucune physionomie", déclare-t-il dans son réquisitoire, "n'est plus abjecte. Voleur et hypocrite, de grands airs d'honnêteté, une religion masquant des moeurs inavouables, un air de dévouement masquant la trahison! Partout, partout, des masques! [...] Ce Renard [...], moi je vous le présenterai nu! [...] Renard, le faux dévôt, était un homosexuel, il l'a reconnu. On a remarqué que des anormaux comme lui étaient souvent des assassins. Partout, Renard poursuivait le jeune Raingo de ses obsessions, jusque dans les villes d'eaux où sa tante l'emmenait pour le soigner. [...] Renard est un ambitieux, un cupide ; c'est en même temps un être immonde aux instincts contre nature. [...] M. Rémy, n'ignorait pas les relations qui existaient entre le maître d'hôtel et son neveu. Il avait cru tout d'abord que c'était là des calomnies. Mais il comprit bientôt que le mal existait. Renard, qui est intelligent, comprit qu'on allait le séparer de celui qu'il aimait. Et il profita sans perdre un instant de la querelle qui éclata entre les époux au sujet du renvoi de Léon Raingo. Renard était frappé en plein coeur[...]. Souvenez-vous de ce qu'a dit Raingo à ce sujet, lorsqu'il a dépeint le délire qui s'empara du maître d'hôtel en apprenant qu'il allait partir.[...] Je vous ai apporté, messieurs les jurés, un faisceau de preuves. Toutes démontrent que Renard est coupable. [...] J'ai pesé toute la culpabilité de Renard et je la trouve trop écrasante. Il n'y a point de circonstances atténuantes ; ce n'est point un crime passionnel, en ce sens que ce n'est point l'amour, ce sentiment qui soude les générations humaines, qui l'a fait agir, mais une passion honteuse que l'on cache et qui n'a rien d'humain. Vous pèserez. [...] La vérité sort triomphante de ces débats. Renard vous apparaît comme dans la nuit du crime, non débarrassé de son masque, avec toute sa perversité farouche." (L'Humanité, 22 juin 1909).

Condammé à perpétuité par un jury et un président acharnés à sa perte, avec l'aide d'une certaine presse sans scrupule (Le Matin, dont les procédés sont dénoncés en plusieurs endroits), Renard est condamné aux travaux forcés à perpétuité. L'Humanité, faisant écho du verdict le 24 juin 1909, parle de "sabotage de la Justice". Il enregistre cependant que "M. Fabre de Parrel [qui] sort accompagné de soldats [...] est hué par la foule" massée à l'extérieur. Dans Le Matin du 7 août 1909, le journaliste qui a couvert le procès, parlant de l'état d'esprit général favorable à la condamnation de Renard, termine son article en disant : "Cela est profondément intéressant à observer et à souligner. [...] Il y a des abjections qui révoltent tout ce que ce pays compte de sain. Il y a des heures où la morale, trop outrageusement provoquée, se révolte et crie. Et c'est ainsi que des accusés ne réussissent même pas à faire pencher en leur faveur la balance du doute, que des condamnés n'arrivent même pas à inspirer la pitié." Réactions qui suscitent l'indignation dans tous les milieux, André Gide écrit ainsi à ce moment-là dans une lettre à Schlumberger : "le procès Renard me rend malade".

Le pourvoi en cassation est rejeté. "Il s'en est fallu de l'épaisseur d'un cheveu, écrit Victor Snell dans L'Humanité, qu'il ne fut admis, et c'est pour ce cheveu qu'au lieu de comparaître une troisième fois en cour d'assises et d'y être vraisemblablement acquitté, Renard s'en ira au bagne jusqu'à la mort. [...] Mais ce qui est le plus déconcertant, c'est ceci : le premier procès Renard, parfaitement correct et présidé avec une remarquable impartialité, fut cassé parce qu'on avait nommé trois jurés supplémentaires au lieu de deux - ce qui, en définitive, n'avait causé ni pu causer aucun préjudice à l'accusé! Et c'est ce second procès de Versailles, scandaleux du commencement à la fin, vaudevillesque et déshonorant, où on vit un président du jury nommé au cours de la délibération 'parce qu'il avait la plus belle voix du département' faire à l'audience des effets de torse pour lire un verdict qu'il avait annoncé trois jours auparavant... c'est ce procès qui trouve grâce devant la Suprême Cour! C'est fâcheux, vraiment, pour la Justice au moins autant que pour les justiciables. [...] En matière pénale, la conscience humaine aime bien, pour demeurer en repos, à y voir clair. C'est ce qu'on demandait en l'affaire Renard! Et comme s'il ne s'agissait en définitive que d'une simple amusette, voici justement que les plus hauts magistrats de ce pays n'hésitent pas à rendre valide et définitive une sentence prononcée dans des conditions inouïes [...]!" (L'Humanité, 7 août 1909).



"La Justice est inique", commente Renard dans sa prison. "Je ne me décourage pas puisque mes défenseurs s'occupent de moi et je pense encore espérer une grâce, après laquelle je demanderai la révision de mon procès." Renard ne devait bénéficier ni d'une grâce entière ni même d'une commutation de peine. Il est dirigé sur l'île de Ré, dépôt des forçats, et, de là, embarqué pour le pénitencier de Saint-Laurent-de-Maroni, où il accomplit sa peine. Sa mort, quatorze ans plus tard, est annoncée en quelques lignes. "Maître Lagasse, défenseur de Renard devant le jury de la Seine et celui de Seine-et-Oise, a reçu hier un câblogramme de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) l'informant que son ancien client venait de succomber à une laryngite tuberculeuse et que, jusqu'à sa dernière minute, il avait protesté de son innocence." (L'Humanité, 5 juillet 1922).

samedi 16 octobre 2010

Homosexuality in SS units

Twenty-four-year-old Hans G., an SS- Hauptscharfuhrer (sergeant major) with the Eleventh SS Volunteer Panzer Grenadier Division Nordland, had served with distinction and had been wounded in action in 1942; in the fail of 1944 he was apprehended on charges of homosexual assault. The interrogations and testimonies reveal a sexually frustrated, perhaps lonely, soldier at the front with strong homoerotic leanings. G. admitted to mutual masturbation with two of his men while having no idea whether it was one of them who had turned him in. His men certainly found some of his actions strange but were offended only by direct sexual assault. Sturmmann (lance corporal) D. described his mutual masturbation with G. and admitted that he was himself sexually excited and had reciprocated for about ten minutes. They were both drunk. Subsequently, D. was rather embarrassed, stating: "The incident didn't particularly concern me, I just really wanted to forget about it. I know that it's a bit unusual. I have never heard ofthe Fiihrer's decree, and I didn't know that this sort of thing was punishable." Unfortunately, the impression of unsullied innocence created by this account of an isolated occurrence was damaged by D.'s initial interrogation, in which he admitted to two further incidents with G. while the two were out on patrol. Even more damaging, they had kissed on those occasions, and G. had thrust his penis between D.'s thighs. Such intercrural intercourse was an indictable homosexual offense even under the Weimar Republic, because it closely replicated the standard heterosexual act. The police fired off a telegram to the station in D.'s home town of Stettin, requesting details of his criminal record and instructing the officers to investigate for any hereditary disorders in his family. Within a week the Stettin police reported back that D.'s father, a conductor on the local trams, and the whole family of eleven children seemed perfectly normal, healthy, and crime-free. G.'s advances to other men were often quite public. When sharing sleeping quarters with his platoon in a barn, for example, he would have one of them pull off his boots and help him to undress, even giving attention to his underwear. He would then sometimes have one of his men remain beside him, holding his hand; G. attempted to shrug off the criticism that this was not typical soldierly behavior. "It's true that I often had O. D. hold my hand in the evening. But I did this without any kind of sexual intent. It was no big deal for me." His excuse to his men was that it helped him sleep better. The young man in question, nineteen-year-old signalman Otto D., certainly found it rather improper that, three weeks after being assigned to this unit, he was sitting holding hands with his sergeant major. But their contact went further. G. made sure that O. D. slept beside him, and one night, the latter awoke to find the sergeant major masturbating him. The younger man allowed his NCO to proceed, not resisting at all ("I remained completely passive"). G. then climbed on top of him and made paracoital movements with his hips until finally he rolled back, "moaning and gasping." The next day, however, the younger man felt sufficiently disturbed by these advances to turn to a fellow soldier for advice. They decided they could take no action in the absence of witnesses. Still, since the men were all sleeping together in a barn, it was easy to find witnesses. G. clearly thought that he had found a willing partner for sex, but two nights later, when G. tried again, O. D. rebuffed him. Several ofthe other soldiers were not yet asleep this time and heard the whispered exchange between them:
G.: Just take mine, and I will play with yours.
O. D.: No, Sergeant Major, I won't do it, it's disgusting.
G.: If we just play around a bit, we can sleep better afterward. You're crazy! Why don't you want to? We already did it once.
O. D. replied that he had been caught unawares while sleeping the first time and firmly took hold of both of G.'s hands to prevent matters from going any further. G. did not force himself on O. D. after this. But now a private matter had become public, and one ofthe men (probably O. D.) reported G., initiating an intrusive, if brief, investigation into the intimate lives of the men of this unit.

The depositions provide an unusual view of the kind of intimacy perhaps not so uncommon among soldiers at the front. Significantly, in the testimony of all of the parties concerned, no soldier thought of himself or accused the other of being a homosexual. It is interesting to analyze the use of ideas of manliness or femininity in the testimony of witnesses, the statements of the defendant, and the judgment of the court. Take Sturmmann Franz B., just turned twenty-one. He was aware that he was a favorite of his NCO, but he did not feel repulsed by G.'s attentions. His evidence of assault was important to the prosecution, although the perceived effeminacy of his mannerisms might tend to discredit him as being homosexual himself and thus an unreliable witness. Most unusually, the chairman of the SS court added a personal comment about him as an addendum to his interrogation: "Outwardly B. gives a soft and girlish impression, yet he is described by his company commander as an exemplary soldier and irreproachable. I myself had the impression that he was telling the truth, and he left behind the very best impression of himself. In his external appearance he is without doubt a type that homosexuals fail for." The judge's statement conveyed the common prejudice that gay men are attracted to effeminate partners, but his reasoning was unusual: the homosexual appearance of the witness proved the actual homosexuality of the accused! B.'s testimony about G.'s behavior revealed a similar conflation of sex and gender roles. While fondling B., the sergeant major "looked like a girl in love and moaned strangely all the while." This gender role reversal followed a direct sexual advance. The two men were alone together in a bunker, lying on some straw. G. began stroking the other's hair and then chest, and without undue resistance on B.'s part he gradually reached for the other man's genitals. At this point B. stopped him and moved his hand away but otherwise did not appear to have taken exception to the caressing: "[G.] often took me into his arms and pressed my head against his breast. However, I never had the feeling that this was an abnormal gesture, I didn't give it a second thought."

The testimony encapsulates the Nazi Party's general problem with homosexuality: the party wished to promote the very closest male friendship and trust but without allowing relationships to cross over a certain line of intimacy that not everyone viewed as a taboo. In this case, that line between comradeship and physicality seemed to have been crossed, though the men involved did not see it that way. Their protestations of innocence and normality should not be seen as a clever manipulation of Nazi discourse in their favor; in fact, their comments tended to incriminate them. Perhaps B. was trying to instrumentalize commonplace notions of masculinity through his reference to G.'s girlishness in order to underline his own "normality." However, his candid admission to being the passive and regular recipient of G.'s embraces seriously undermined that defense strategy. His remarks are so natural in tone that it is likely they were recorded as spoken. And I would contend that the interrogators (through whose pen the statements are handed down) were not necessarily trying to entrap the witnesses; rather, the latter were simply naive. Himmler, had he read the full details of the case, would doubtless have been astonished to learn that his SS men at the fighting front could spend their evenings holding hands or caressing one another without any feelings of guilt or concern.

Hans G. himself strenuously denied being a homosexual. His defense was a common one among front-line soldiers in such cases: "My behavior can simply be attributed to the fact that I have had no leave for a long time and thus have had no opportunity for normal sexual intercourse." That was true, because the troops were strictly forbidden to have any intimate contact with the native women in the occupied territories. Less plausibly, he claimed to be completely innocent about homosexuality. G. had volunteered for the Waffen-SS while still only sixteen years old and had been assigned to the SS Death's Head Division (Division Totenkopf) for training at Dachau by the time he reached eighteen, the normal age for entry. He was later transferred to Mauthausen and Flossenbürg, concentration camps with noteworthy concentrations of pink triangle inmates. Let us examine G.'s comments in this regard: "I did not experience anything like that [intimacy among the men] in the [SS] Viking Division [Division Wiking]. I had my first sexual intercourse [with a woman] when I was eighteen. Before that I knew nothing about [gay sex], I didn't even masturbate. The first urges came to me in July 1944. I heard about such things in the concentration camp, but I didn't know anything about it. Paragraph 175 didn't mean anything to me. I don't know the Fuhrer's decree either. It was never read out to me."

This testimony suggests that G. probably subscribed to the common perception that participation in anal intercourse defined a homosexual; in some concentration camps, for example, the Paragraph 175ers were made to wear a badge with the letter "A" to denote "ass fucker" (Arschficker). It is entirely plausible that such was the talk of the common guards. Furthermore, his statement provides further evidence of the timidity of the SS leadership in giving warnings about infractions in this area that were explicit enough to be of any use. G. also tried to "prove" that he was not a homosexual by insisting that he had turned in someone who had reached for his private parts in a public toilet in Brno, where his SS unit had been stationed in 1939. G. claimed to have boxed him on the ears and gone straight to the Gestapo office to report him. When it came to substantiating his claim, the story became rather fuzzy. G. asserted that he attended the court hearing to listen to the trial ofthe man but was never called as a witness. "He got two and a half years' penitentiary and a punishment beating every day, as I later heard." If that was meant to suggest that G. thought this an appropriate punishment for a "real" homosexual, it was not a particularly prudent remark, because this alleged assault was little different from his own unwanted advances against the men in his unit.

The SS judges did not believe him and annotated their copy of his testimony with exclamations of doubt. They underlined the fact that he had spent two years at a Catholic monastery school, since that was an immediate indicator of possible homosexuality. They scrawled a large question mark in the margin next to his account of his lively relations with women, at least fifteen in all. G. asserted that as his wartime duties had grown more strenuous, he had become deeply involved with one woman, Lotti Kortum. He spent his last leave with her and had sex with her. Could he provide her current address? No, she had recently moved, and, since his unit was constantly on the move, he had thrown away all her letters. It sounded very much like a fiction. The judges knew that he had already misled their inquiry by admitting to just two instances of mutual masturbation. "These are the only incidents," he stated categorically on September 28, 1944. "A lie!" wrote one of the judges on the transcript later. What probably clinched the case for the court was the fact that, despite a minimal difference in ages, about five years, the assaults were carried out by a superior against junior NCOs in his charge.

Such an abuse of rank was always treated in an especially stern manner. On October 10, 1944, the SS court pronounced the death sentence on Hans G. for five completed and two attempted homosexual acts. The Appeals Process Initially, G.'s case seems to be a clear example of the enforcement of Hitler's November 1941 edict. Yet immediately, the tide began to turn for Hans G. Within one week, the commanding officer ofthe Third SS-Panzer Corps, General Steiner, wrote a strong plea for clemency, arguing that "the condemned displayed for years a magnificent fighting spirit and won for himself in these long war years every medal that he possibly could" and that "he was a particularly competent junior officer who enjoyed general respect." His reasons suggest that the pragmatic needs created by the worsening war situation overrode the ideological imperatives of homophobia. The general's final justification for his plea for leniency showed that he agreed with G.'s own excuse that the conditions of war were to blame:
I do not believe his action can be judged to be the consequence of a sick or depraved disposition, because he has never before come under suspicion of similar offenses or a similar disposition. Rather, this really does seem to be an example of sexual deprivation. . . . In my opinion we have here a strong psychic and erotic aberration that has been formed by the conditions of war. The accused is certainly no national parasite [Volksschadling], since he has continuously been in action of the most dangerous kind for his country.

Unfortunately, the outcome of the case is not clear, since the chaotic conditions of the war's end prevented the preservation of a paper trail. The files were sent to the head office of the SS courts for a decision on the clemency appeal, and it appears that the case was then handed over for a further opinion to the civilian criminal police authorities in the Reichszentrale zur Bekampfung der Homosexualitat (Reich Central Office for Combating Homosexuality). With Berlin already largely in ruins in early 1945, this office continued its laborious investigations, wanting in the first place to know why at the age of twelve G. had suddenly left the Catholic school attached to the Fiirstenstein monastery. G. claimed to have been expelled for reading the Nazi newspaper, the Volkische Beobachter. No incriminating evidence was found; the gendarmerie post in the small town responded that G.'s version was entirely plausible. The local policeman had known G. personally since 1930 and could testify that even as a twelve year old the latter had shown an unusual interest in politics, which doubtless derived from his father's early support for the Nazis before their seizure of power. Neither was there "the slightest suspicion of a homosexual disposition." G.'s relations with women had been entirely normal during his youth. He had had a number of girlfriends over the years and had contemplated marrying several of them. In fact, during his last home leave he had made more concrete moves in this direction with one woman, only to have the plans blocked by his widowed mother. There is something grotesque in the fact that in the winter of 1945, with Germany close to collapse, the police office on homosexuality was still going to these extraordinary lengths to pry into the private life of an individual in order to see whether he might be cured of his homosexual tendencies or else be put to death.

As late as February 1945, the police were still pursuing G. He was brought from the Schoneberg prison, to which he had been transferred, for an interrogation in the central office in the bombed-out heart of Berlin, which disproves the view that the employees of this office did little more than shuffle index cards. Agent Dornhofer wanted precise details about G.'s relations with women. When he was stationed at Dachau in the mid-1930s, G. asserted that he "had sexual intercourse with a girl at least once a fortnight." Evidently, these young men in SS uniforms had their pick of the local women and made the most of it in the local dance halls. He could not recall any of their names, because these had been merely fleeting acquaintances. Making no progress here, Dornhofer pressed G. more closely about his homosexual acts: "Did you find pleasure in these activities?" G. was smart enough to offer a very circumspect answer: "I had the desire to find sexual satisfaction under any circumstances." Eliciting from the prisoner the admission that mutual masturbation between men was not normal behavior for well-balanced heterosexuals, Dornhofer tried to trip him up by asking him why, if he realized that this was wrong, he had come to repeat the offenses. G. replied that his will was weakened by heavy drinking - an admission that appears to have been partly true, according to earlier testimony, and was in any case an argument that sometimes worked in favor of a defendant.

We do not know whether it worked for Hans G., because the file breaks off with this February 1945 interrogation, and additional documents did not survive the end of the war. While the historical record is incomplete, the case repays careful study because it demonstrates the difficulties of sexuality for both the average soldier and the legal system. There is little doubt that Hans G., former concentration camp guard in some of Nazi Germany's most notorious camps, was a pretty unsavory character. Yet his SS record is not at issue here. What is important is the treatment of homosexual acts. Men in closed societies (such as prisons or armies) do become sexually frustrated and seek a release. In part, the German generals sought to address that need for front-line soldiers through the provision of brothels; yet brothels could not be set up everywhere, especially in the more isolated areas. Once a complaint concerning sexual abuse or assault by a superior had been lodged, it had to be taken seriously. This case could not be shrugged off as an isolated incident, since a total of seven incidents came to light, revealing a pattern of homosexual activity. Consequently, it became important to establish the exact nature of the offenses. There had not been just manual stimulation but also paracoital movements of the hips and even kissing. This simulation of heterosexual intercourse was the most damning factor. This and the abuse of rank pointed toward the death sentence. Yet some empathy seems to have prevailed in the SS judiciary in its acknowledgment that the harsh privations of front-line duty created special circumstances that would try the willpower of even the most upright of characters. Those charged with enforcing Himmler's homophobic policies did not respond simply with a knee-jerk reaction. They leavened ideology with pragmatism, even in this sensitive area. [...]. Although even in the final weeks of the war German men convicted as homosexuals faced the threat of execution [...].

Werner S., the only son of a foreman in a metalworks factory in Düsseldorf, joined the junior branch of the Hitler Youth as soon as he could but never held rank in that organization, concentrating instead on music and advancing to the district Hider Youth orchestra. He was a fairly good student, attending the local, nonclassical high school. He intended to go to college to study the humanities and physiology but was still rather vague, listing astrology and graphology (!) as possible areas of study. Three months before he was due to graduate and a couple of weeks after his twentieth birthday in June 1942, he was called up for army service. Passing his basic training with flying colors, he was assigned to an anti-aircraft unit on the eastern front, where he was soon singled out as officer candidate material. He completed officer training with the rank of lieutenant in August 1944. The report card noted his "particularly decent character" as well as his diligence and sense of duty. His superiors judged that he would make a good "political officer" because he could communicate National Socialist ideas to others convincingly. A subsequent report claimed that he positively "embod[ied] solid soldierly and National Socialist ideals." Immediately after officer training, Werner S. was sent back to combat, this time to the western front, as an officer in charge of a gun battery unit. Now he was on his own, with real responsibility for the lives of his soldiers. He was still quite young himself, but his men were slightly younger.

On the night of September 13, 1944, he lay down with his nineteen-year-old orderly, private Engelbert Sch. The latter was already dozing when S. suddenly pulled him over and asked if Sch. had ever "screwed" a girl. When Sch. said that he had not, S. kissed him, evidently with some passion, explaining that this was a French kiss. A couple of nights later, S. found a place with three beds in different rooms for the six of them. Having retired, he and his room-mate stripped down to their shirts and climbed into bed. Werner then embraced and kissed the other soldier, the eighteen-year-old gunner K., several times and suggested that they masturbate each other. K. subsequently asserted to the military court that he had initially refused, but when Werner continued to badger him, he succumbed just so he could shut him up and get some sleep. He was not an entirely unwilling partner, because K. admitted that both had ejaculated. K. allowed himself to be kissed several more times before they fell asleep. But that was that? when Werner asked K. a week later to sleep with him, K. refused, saying he had no interest in doing it again. There are two significant points here: first, the initial sexual encounter was not a particularly big deal for K.; second, although he agreed to participate, K. was able to tell S. in a nonconfrontational way that he did not care for a repeat performance.

Two nights after this incident, S. shared a tent with another soldier and kissed him, too. Nothing further happened. Two nights later he entered the tent of lance corporal G., lay down beside him, and cuddled up to him. The corporal thought nothing of this, assuming that the lieutenant was simply cold, until the latter began to kiss him. Getting nowhere, S. left the tent. Two nights later, he asked his men twice for a volunteer to sleep with him, but none came forward. There is no evidence that they had compared notes yet, although perhaps S. had made advances to all of them by now. At any rate, a new man had just joined the unit, twenty- two-year-old corporal A., and S. simply told A. that he would share with him. After awhile, A. noticed S. pulling him closer. Since A. was cold and assumed that S. was too, he simply moved closer himself and was surprised when S. kissed him. Werner asked if he would like "to do it with him." "Do what?" replied A. and, receiving only a laugh for an answer, rolled over and went back to sleep.

Let us step back and take note of the situation again. The corporal thought nothing of snuggling up to his lieutenant in a rather intimate way in order to keep warm. Thousands of other soldiers must have done so at the front. Nonsexual snuggling seems to have been unexceptional. The following day the unit again changed position. Werner S. appointed nineteen-year-old private T. as his new orderly and had him set up a bivouac for the two of them. It was another cold night, and T. was planning to go to sleep with his great coat on. S. told him to remove it, which he did, and he lay down with his back to his lieutenant. Soon S. asked him to turn round, and when T. did so, S. pulled T. toward himself, kissing him. Sensing no resistance, he then unbuttoned T.'s trousers and grasped his penis. Still finding no objection, S. took T.'s hand and placed it on his own erection, allowing T. to masturbate him to the point of ejaculation. The next morning, while T. was still sleeping, S. took him in his arms again and kissed him. Probably this kissing offended the other man most directly, since it was an unmistakable display of affection that overturned sex roles far more disturbingly than mutual masturbation, which could be dismissed as two men releasing their sexual tension in the absence of any women. At any rate, when S. asked T. to sleep with him the following night, T. refused, saying that he had had enough the previous night. S. admitted that maybe he had gone too far but added that perhaps he was not the only one to blame.

In none of these incidents did Werner S. force his men to be intimate with him. S. was not a violent sex criminal. All this happened within the space of ten days. Inevitably, the men in this small unit talked to one another about their officer. Corporal A. spoke to G. about his experience and then to T, and they all realized they had been kissed by their lieutenant. It suddenly became clear that the young lieutenant was experimenting with everyone who bunked with him. A. promptly reported the matter to the battery officer, and the whole business ofa formal investigation ensued. Things moved very swiftly; within a mere fortnight the court-martial sentenced Werner S. to death. Yet the story had an additional twist. While the interrogations of the men in his unit were proceeding, Werner S. asked T. if he had had to give the officers any details. When T. admitted that he had, S. declared he had only two courses of action remaining: he could shoot himself or find some other way out. The nature of the second solution became clearer when he asked another soldier how well the Americans treated German deserters. He had a similar conversation at battery headquarters, asking the sergeant major directly if he thought he should desert, since he had no intention of shooting himself.

Soon thereafter he was placed under arrest. Perhaps the most intriguing aspect of this case is that the death sentence was not given for Werner S.'s homosexual offenses but for his planned desertion (which of course was prompted by his fears about the severe punishment that homosexual offenders could expect). Talking about his plans with other soldiers was deemed to be an act of sabotage. Since S. was not a regular member of the SS or police, execution was not the prescribed penalty for homosexuality; such offenses merited five years in a penitentiary, according to the verdict. The court judged that S. was not a "real" homosexual and was merely guilty of an aberration, explainable by his youth and inexperience. That, the judges felt, coupled with his excel- lent military record, should be counted in his favor. Yet S. had not erred on only one occasion but had systematically made advances to virtually every soldier in his unit; if he had succeeded in "committing a punishable offense" with another soldier on merely two occasions, it was not for want of trying. This, too, is an interesting comment, because the court recognized only the masturbation as a punishable offense and not the kissing, despite the leeway allowed by the revised Paragraph 175, on which the court based its opinion. But if it was lenient in this interpretation, it was harsh in its terms of punishment: a single instance of masturbation merited three years in a penitentiary (and the two proven cases combined merited five) because they were aggravated by S.'s abuse of his authority over his subordinates. Even though there was no significant difference in age between S. and his men, the abuse of rank was a serious matter. All this tortuous weighing of mitigating and aggravating circumstances surrounding the sexual offenses was purely academic, because there was never any intention to allow Werner S. to serve out his penitentiary sentence. The death sentence took precedence. There was, of course, an appeal, and Heinrich Himmler was the judge of last resort, because S. happened to belong to a Volksgrenadier division now under Himmler's command. In preparing a summary of the case for Himmler's decision at the end of October, the SS court itself did not push for a confirmation ofthe sentence. Its memo to Himmler stressed that S. was "very young and immature," that this was "doubtless" the first time that he had carried on like this, and that he only realized the seriousness of the offenses after the event. Indeed, it did not even count both instances of masturbation but reported that there were "serious indecent acts" on only one occasion.

The SS officer preparing the memo apparently endorsed the court-martial's observation that the two soldiers had "quickly succumbed" to S.'s advances and that T. in particular "gave the impression of being not inexperienced in sexual matters." He also emphasized the fact that there had been no adverse effects to morale among the other soldiers and repeated the defense counsel's assertion that the talk of desertion only came up because the accused had had no opportunity to talk with superior officers about his situation. It was several weeks before Himmler managed to attend to this matter, but on December 3,1944, he rejected the appeal without comment. Even the SS judge on Himmler's staff sounded surprised in reporting this decision to the SS court's head office, finding it necessary to explain that Himmler did not view S. as "worthy of clemency despite the extenuating factors about his person that doubtless speak in his favor." On February 9, 1945, at Trier, a few weeks before the city fell to the Allies, Werner S. was executed. He was twenty-two years old.

extracts from The Denial of Homosexuality: Same-Sex Incidents in Himmler's SS and Police by Geoffrey J. Giles (in Journal of the History of Sexuality, Jan./Apr. 2002).