"Le détenu est un esprit inventif, un débrouillard, jamais à court de moyens. [...] Il n'y a que l'amour naturel qui ne puisse s'acheter en prison... Baste ! le détenu n'est pas difficile. A défaut de femmes, il se rabat sur les gironds. Les actes immoraux se pratiquent à l'atelier, à la correspondance, dans la cage des escaliers, dans la cave au charbon, au réfectoire (pendant la lecture, les jours de mauvais temps), au dortoir, partout, en un mot, jusque dans l'église et les locaux affectés à l'administration. A l'atelier, la chose se passe derrière les marchandises et, surtout, dans les lieux d'aisances. En vérité, c'est au dortoir que gironds et pédés sont le plus à l'aise. Là, les surveillants sont des camarades. Et, sur cinq prévôts, de garde, à tour de rôle, il s'en trouve toujours de corruptibles. Souvent même, le prévôt est un amateur. Quand le prévôt n'inspire aucune confiance, les amis filent aux latrines. D'autres fois, le pédé s'entend avec le voisin du girond ; il lui cède son lit et prend le sien. Au moment propice, le couple jette une couverture à terre... On devine le reste: il arrive aussi qu'un mâle audacieux se glisse, à plat ventre, jusqu'au lit du môme. Mais cela ne va pas toujours comme sur des roulettes.
Mille petits incidents peuvent arrêter notre amoureux, au cours de son expédition nocturne : ici, c'est un maudit sabot, malencontreusement heurté, qui chahute ; là, c'est un bidon qui tombe et roule avec un bruit d'enfer. Cependant que le propriétaire s'éveille et pousse des cris d'orfraie, croyant qu'on en veut à ses poches, le prévôt s'amène et ordonne le silence. On s'expliquera, le lendemain, au prétoire. Bon gré, mal gré, quel qu'il soit, le détenu de garde, à la salle du repos, trompe la confiance de l'administration ; on y godaille avec la dernière impudence. L'important est de monter une frégate au docteur. On fait, de même, tout ce qu'on veut, au dortoir de la salle de discipline. Un pauvre diable, le n°3281 (berger, âgé de 17 ans, sans antécédents judiciaires, condamné pour attentat à la pudeur), y fut violé pendant la nuit du 17 au 18 juin 1899 : « Quatorze individus lui passèrent dessus. » Jugez de son état !
Comme sécurité, rien ne vaut les dortoirs cellulaires. Les prévôts y sont bien plus coulants que dans les dortoirs en commun, où certains condamnés « dorment éveillés » et se risquent parfois à moucharder les amis et leur complice. Et puis, les gardiens de ronde ne s'inquiètent guère de savoir si deux détenus sont couchés ensemble. Ils vont droit au contrôle, dans la hâte qu'ils ont de terminer leur corvée. Les dortoirs cellulaires sont d'anciens dortoirs en commun, à l'intérieur desquels ont été construites, à partir de 1897, pour la séparation de nuit, une série de petites cases, en briques, de 2 m. 01 de haut, sur 2 m. 29 de long et 1 m. 12 de large, grillagées, au-dessus et de face, avec des lamelles de fer feuillard. Néanmoins, à travers le toit de sa case, chaque condamné peut causer avec ses voisins. Mieux encore, dans certaines cellules adossées aux fenêtres, rien n'est plus facile que de se livrer à la masturbation réciproque.
Dans chaque moitié de dortoir, il existe deux rangées de cellules. Les portes s'ouvrent sur un couloir commun ; elles sont fermées au moyen d'une même tringle, aplatie, qui longe leur partie supérieure, et fait jouer, par l'intermédiaire d'un J à glissière, le pêne de la serrure. Au niveau de chaque ouverture, la tringle est munie d'une plaque de fer, en saillie. Celle-ci recouvre, quand la cellule est fermée, un taquet identique, vissé sur le battant de la porte. A la tringle, s'adapte un balancier qu'actionne une poignée-levier dont les gardiens seuls ont la clef. Du sens suivant lequel on le meut, dépend l'ouverture ou la fermeture des cellules.
Si ingénieux qu'il paraisse, tout ce mécanisme n'empêche pas les pensionnaires de se rendre visite. Pour ouvrir une cellule, les prévôts relèvent la tringle et écartent les taquets. En pressant, avec la pointe d'un couteau, sur la gâche de la serrure, la porte tourne sur ses gonds. Le voisinage du balancier réduit-il à néant le fléchissement de la tringle, ils enlèvent l'une des deux vis qui immobilisent le taquet de la porte ; ils impriment à ce taquet un mouvement de rotation et le tour est joué. Supposez, maintenant, que les vis de la plaque de fermeture soient martelées, en dedans, et qu'on empêche le fléchissement de la tringle, en fixant, au-dessus d'elle, de loin en loin, un galet, mobile sur un rivet ? le prévôt ne pourra plus remplir le rôle de portier. Mais alors, c'est à la serrure du levier qu'il s'attaquera. Un simple crochet permet d'agir efficacement sur elle. Aussi, l'administration locale pense-t-elle qu'il faut s'adresser à Fichet. Peine inutile ! Fichet lui-même sera vaincu.
Il s'est fondé, en 1895, dans la maison centrale de Nîmes, une société, dite des « pédérastes actifs ». Cette société compte vingt membres, dont un président, un trésorier et un secrétaire. Quand une vacance se produit, le bureau s'enquiert de la valeur morale des candidats. Dès le jour de l'admission, le récipiendaire verse, entre les mains du trésorier, une cotisation en tabac, cantine, linge, etc. Les dons et cotisations servent à secourir les pédés malheureux ou punis, à acheter le silence des prévôts, à tenter la cupidité des gamins. Chaque sociétaire doit fournir tous renseignements utiles sur les gironds de son atelier. Il se conforme, pour les cadeaux, aux tarifs en vigueur, et prévient ses confrères, s'il sait une de ces dames atteinte de maladie contagieuse. La société étant en rapport constant avec les portes, il en résulte force avantages dont les membres seuls ont le droit de jouir. Le président (solide gars, puni de la prison pour « vol qualifié ») ne manque pas d'intelligence.
Pendant la nuit du 25 au 26 juillet 1897, il fut prévôt, voici comment : A cette époque, les ouvriers de l'atelier de sculpture de pipes couchaient dans le même dortoir (11 bis) que les jeunes gens connus pour s'adonner à la pédérastie. Parmi ces ouvriers, se trouvait un nommé M..., batailleur de premier ordre, toujours prêt à se colleter. Le prévôt-chef, ayant eu la malencontreuse idée de lui chercher querelle, reçut une magistrale distribution. Au bruit de la lutte, le gardien-chef accourut et fit mettre en cellule les deux combattants et les quatre prévôts qui n'avaient pas prêté main-forte à leur collègue. Puis, avisant Ar..., le plus ancien détenu, il lui commit les fonctions de surveillant. Le chef parti, Ar... demanda un instant de silence. Tout le monde, aussitôt, de s'enfoncer hypocritement sous les couvertures, si bien qu'à dix heures on ronflait ferme, au passage des gardiens. Alors notre prévôt plaça un factionnaire à l'entrée du dortoir et, baissant le gaz, il clama : « Amusez-vous, les enfants ! je vous donne pleine carrière. » On cria, en choeur : « Vive le pédé. » Et chacun d'aller trouver sa mie.
Tantôt on entendait des soupirs, des petits cris étouffés, tantôt le bruit du briquet que l'on battait pour allumer une sibiche. A minuit, le gaz fut rallumé, on se tint coi. Mais une fois la ronde passée (la première ronde passe entre 8 heures et demie et 9 heures ; la deuxième et la troisième, vers minuit et trois heures du matin), la séance recommença de plus belle. Le trésorier avait été condamné pour « vol qualifié ». Comme prévôt-chef, il jouissait de la confiance de l'administration. C'était un homme pondéré, même en amour, et « Cerisette », sa maîtresse, affirme qu'il fut toujours un ami fidèle. Bien au contraire du trésorier, « l'aimable » président, lui, pratiquait l'indépendance du coeur, avec une admirable désinvolture. Toutes les dames de céans en étaient coiffées. Quant au secrétaire (receleur, au dehors ; comptable, en prison), il aimait ainsi que son chef de file, à butiner un peu partout. Parmi les membres de la société, on rencontre : 9 voleurs, 2 escrocs, 2 faux monnayeurs, 2 violateurs, 1 meurtrier, 1 condamné pour coups et blessures. Ce sont des récidivistes, rusés compères et joyeux drilles, debout dans l'âge (planche 121). Entre eux, pas de jalousie ; ils ne pratiquent le coït anal que faute de mieux.
Lisez plutôt ces vers de l'un des sociétaires :
L'AMOUR DES PETITS OISEAUX
Tandis que l'aurore charmante
Perçait à travers les barreaux,
J'ai vu, moi qui n'ai plus d'amants,
Se becqueter deux passereaux.
Sur le toit, près de la fenêtre,
Ils se caressaient gentiment,
Et l'amour, dans leur petit être,
Mettait tout son tressaillement.
Car les oiseaux, mignonnes âmes
Qui vont dans les nids se poser,
Sont des hommes et sont des femmes
Pour l'ivresse et pour le baiser.
Très heureux, n'ayant pour fortune
Qu'un abri sous ce toit profond,
Ils faisaient, sans malice aucune,
Tout ce que les gens libres font.
Et, dans la rosée claire et verte
Qui tombe du ciel, en été,
Nos amoureux, l'aile entr'ouverle,
Goûtaient le plaisir souhaité.
Avec des haussements de queue,
Ils rapprochaient, joyeusement,
Leurs plumes, qui paraissaient bleues
A force de rayonnements.
0 saintes choses défendues !
Ils se trémoussaient de plaisir,
Leurs pattes, grises, détendues
DansTapaisemenl du désir.
Puis, émerveillés d'être ensemble,
Us joignaient, encore une fois,
Leur joli petit corps qui tremble
Comme la fougère des bois.
Hanté par la saison nouvelle,
Le mâle, un paillard effronté,
Tourbillonnait sur la femelle,
Espoir de sa paternité.
L'oiselle, à peine effarouchée,
Fuyant, et, pourtant, se livrant,
Se tenait, un instant, penchée
Sous son superbe conquérant.
Thermidor leur faisait l'aumône
D'un plan d'horizon tout vermeil,
Et je regardais leur bec jaune
S'entremêler dans du soleil.
L'air chantonnait dans l'aube claire ;
La brise, au loin, ridait les eaux.
Ah ! bourreaux, quand pourrai-je faire
Ce que font les petits oiseaux ?
Dans la détention, grand est le nombre de leurs collègues en pédérastie active. Mais comme, là où il n'y a pas de femmes, il n'y a pas d'amour, les condamnés se moquent des camarades qui affichent des sentiments, par trop tendres, à l'égard des demoiselles en pantalon. Vienne la libération ! l'amour naturel reprend tous ses droits. La pédérastie par goût compte peu de partisans. Sitôt qu'ils apprennent, par la renommée, la venue d'un volaillon, les véritables amateurs épient toutes les occasions d'offrir leurs services au gamin. Chez eux, une simple pression de main détermine un frémissement lubrique. Aussi bien, ils n'éprouvent que répugnance pour l'amour naturel dont la femme, avec ses grâces et ses faiblesses, est le symbole. Ce sont de vieux débauchés qui tombent, tous plaisirs usés, dans les abominations de Sodome, cherchant à galvaniser, ainsi, leur sens génital affaibli ou éteint.
Au dire de l'un d'eux : La sensation que produit l'acte est fort agréable, lorsque le girond est, lui aussi, en érection. La verge est serrée fortement; puis, au moment psychologique, les contractions spasmodiques du sphincter accélèrent la jouissance. Et, si on saisit, à pleine main, le pénis du gosse, il semble que l'on se prolonge. Quand la verge du passif est flasque, ce qui arrive généralement, l'acte étant consenti par intérêt, plutôt que par passion, alors ce n'est plus ça. Pour avoir beaucoup de bonheur, il faut que le plaisir soit partagé. Les malheureux ! s'ils savaient jusqu'où peut aller la déchéance ! « A la longue, l'aptitude à la pédérastie active se paralysant à son tour, ils se livrent à la pédérastie passive qui peut faire momentanément recouvrer le rôle actif, ou constitue une compensation, et enfin à l'onanisme buccal, dernier terme de la dépravation, fin de toute puissance génésique ». Il paraît que l'intromission est plus difficile qu'on ne pense et qu'un girond reconnaît, tout de suite, s'il a affaire à un habitué ou à un novice. Dans son expédition avec « Nina », le « coureur » du greffe n'a jamais pu y arriver. « Nina » a montré, par une pantomime très expressive au moyen de l'index qui ployait devant son autre main fermée que le « coureur » avait fléchi.
[...] Sur 859 condamnés, 59 sont des prostitués, reconnus comme tels sans contestation aucune (6,86 %). A cette liste, le président de la société des pédérastes a ajouté 24 noms. Désireux de rester dans les limites de la certitude absolue, je ne m'occuperai que des premiers.
On rencontre :
1- Au point de vue de la pratique :
Passifs : 36 soit 61,01 %
Passifs et actifs (soupières) : 11 soit 18,64 %
Adonnés à l'onanisme buccal : 12 soit 20,33 %
Parmi les passifs, au premier rang, brille un jeune Italien [planche 45 du tome I : le portrait de Nina par un admirateur, accompagné du commentaire rimé suivant : "Je suis Nina la gigolette/ la plus belle de la maison/Et de moi plus d'une fillette/serait jalouse avec raison/Mes qualités sont anonymes/Si vous n'êtes pas convaincu/Venez à la prison de Nîmes/Et je vous montrerai mon C."], ancien chasseur dans un café à Gênes. Amené à Monaco par un client qui l'y abandonna, il fit la connaissance d'un nommé G... (planche 123), dont il partagea le lit. Il attirait les amateurs dans les endroits écartés, et leur vidait les poches, pendant que G... leur serrait le kiki. A la libération, son rêve est d'aller cascader, à Paris. Toutes les saletés que comporte la pédérastie, élevée au rang d'une profession, lui sont familières. Nina, comme on l'appelle, est assurément « la plus belle de la maison ». Il n'a que dix-sept ans et se trouve un peu en retard pour sa formation corporelle. Sa bouche est petite, ses yeux bien fendus, sou visage régulier. Nul ne possède un sourire plus canaille. « Malheureusement, les hanches lui font défaut. » Ce qu'il regrette de ne pas être fillette ! En se laissant aimer, aussi souvent que cela se peut, le temps passe vite : « l'intrigue distrait, et c'est si bon le plaisir défendu ! ». Mise à la salle de discipline, « Nina » griffonnait à un de ses adorateurs : « J'en viens folle de ta binette. Elle est blanchette et rougette. Je m'en suis fait plusieurs d'hommes. Non, non, crois-le, je n'ai jamais ressenti un bonheur plus grand qu'avec toi, car si tu savais comme tu caresses bien... J'espère ta visite prochainement. »
2- Au point de vue de la nationalité :
Français : 51 soit 86,44 %
Arabes : 1 soit 1,69 %
Italiens : 5 soit 8,47 %
Suisses : 1 soit 1,69 %
Espagnols : 1 soit 1,69 %
« L'Andalouse » est réputée tante de marque. Imaginez-vous un affreux personnage, âgé de trente ans, au corps velu, voûté, d'une maigreur effrayante, surmonté d'une tête de singe. On le dit passionné et rageur. A la moindre contrariété, il menace ses amis du couteau.
3- Au point de vue de l'âge :
De 16 à 20 ans : 29 soit 49,15 %
De 20 à 25 : 18 soit 30,80 %
De 25 à 30 : 5 soit 8,47 %
De 30 à 40 : 4 soit 6,77 %
De 40 ans et plus 3 " 5,08 %
Agés de 42, 49 et 66 ans, les trois derniers - un charpentier condamné pour attentat à la pudeur, un limonadier ayant reçu l'instruction primaire et un faux monnayeur - pratiquent volontiers la succion pénienne.
4- Au point de vue du degré d'instruction :
Illettrés : 7 soit 11,86 %
Sachant lire : 4 soit 6,77 %
Sachant lire et écrire : 33 soit 55,93 %
Sachant lire, écrire et calculer : 11 soit 18,64 %
Ayant reçu l'instruction primaire : 4 soit 6,77 %
A signaler, parmi les derniers, deux inséparables soupières : un « capitaine de voleurs » - jeune homme possédant une bonne instruction - et un petit voyou du même âge, condamné comme lui pour vol qualifié. C'était un ménage modèle. Quand l'un était puni, l'autre refusait le travail. Ils ne se quittaient pas. B... fut libéré le premier et jura à D... qu'il viendrait l'attendre. Celui-ci fut tellement affecté du départ de son partenaire, qu'il en perdit le boire et le manger. Il dépérissait à vue d'oeil et dut passer à l'infirmerie les quelques mois qu'il lui restait à faire. Pour son malheur, le jour de sa libération, B... se trouva devant la porte de la prison. Le couple ne tarda pas à avoir maille à partir avec la justice. On dit que la cour d'assises de la Haute-Loire vient de condamner ces deux individus, à la réclusion, pour « vols qualifiés ».
5- Au point de vue de la profession :
20 cultivateurs, domestiques, etc., 5 coiffeurs, 3 marchands ambulants, 3 serruriers, 2 boulangers, 2 pêcheurs, 1 cordonnier, 1 bijoutier, 1 tuilier, 1 mercier, 1 scieur de long, 1 galochier, 1 maçon, 1 garçon de café, 1 mineur, 1 limonadier, 1 charpentier, 1 berger, 1 tailleur, 1 chaisier, et 10 individus sans profession, au nombre desquels figure un Ardéchois, âgé de dix-huit ans, condamné pour vol qualifié très connu à Lyon et à Marseille sous le nom de « la Duchesse ».
Depuis sa première jeunesse, il prostitue son corps au plus offrant. Un fabricant de papiers l'entretint et l'affubla d'une livrée rouge et bleue, le donnant pour son groom. A la suite de plusieurs larcins, il fut congédié. Des trimards le menèrent à Lyon. L'un d'eux, souteneur de bas étage, le dressa à la retape. Enfin, las de recevoir des coups, le girond vint à Marseille, où, d'après ses confrères, il se choisit comme boudoir un water-closet. Dans l'établissement, il a essayé de coucher avec « Nina ». « J'ai que toi à la bonne, lui écrivait-il. Tu me dis que j'en est deux. C'est parce que je suis l'amie à la Gabrielle. Je suis forcé d'être sien, parce que je l'ai connu dehors. Je n'aime que toi... Je t'envoie un bon patin au fond de la bouche, jusque nous ferons autre chose. » Si gentille que fût « la Duchesse », « Nina » n'entendait pas de cette oreille. « La Duchesse » insista : « Je ne sais à quoi m'en tenir. Tu me dis oui ; tu me dis non. J'ignore si tu m'as à la bonne. Je voudrais bien faire des petites affaires avec toi. Je t'aime beaucoup. Si je te plaît, dis oui. Si je te plai pas, di non ; soi sérieux. »
« Nina » ayant catégoriquement refusé, notre Ardéchois jeta son dévolu sur le « coureur » du greffe, auquel il adressa le poulet suivant : « Mon très cher amie, je regrette beaucoup de ne pouvoir te parler librement. Je me suis aperçu que, quand je passe à côté de toi, tu me faisais risette. Je désirerais vivement te connaître. Moi et la petite Nina, nous sommes bons camarades. C'est pour ça que je le charge de mes commissions, parce qu'il est très sérieux. » Or, le « coureur » tapa dans l'oeil du commissionnaire. Et, le jour de l'Ascension, à midi précis, en l'an 1899, l'adoré descendit dans la cour, un papier à la main, appeler « Nina », comme si on la réclamait au greffe. Un gardien les suivit, à pas de loup, et les surprit dans une posture qui n'admettait pas la moindre contestation! La punition infligée fut trente jours de salle de discipline.
6- Au point de vue des crimes et délits :
Vol simple : 24 soit 40,67 %
Vol qualifié : 21 soit 35,59 %
Abus de confiance : 1 soit 1,69 %
Fausse monnaie : 3 soit 5,08 %
Attentats à la pudeur : 5 soit 8,47 %
Coups et blessures, rébellion : 2 soit 3,38 %
Meurtre : 2 soit 3,38 %
Empoisonnement : 1 soit 1,69 %
L'individu, condamné pour « abus de confiance », était âgé de trente ans. Il avait la passion de pédérer ses amis et de les sucer ensuite. Il fut successivement prévôt-chef et comptable général. Jamais on ne vit détenu plus orgueilleux. Il avait l'intime conviction que la Centrale ne pouvait marcher sans lui. Les jobards le croyaient « enseigne de vaisseau ». Le pauvre! il n'était que crieur sur le bateau qui va de Marseille au château d'If.
7- Au point de vue du nombre de condamnations :
Récidivistes : 46 soit 77,96 %
Sans condamnation antérieure : 13 soit 22,03 %
Voici un gamin, écroué de la veille et pour la première fois. Classé comme un colis dans un atelier, sans argent, sans soutien, inexpérimenté, au milieu de gens de sac et de corde, étrangers pour la plupart à tout sentiment de pitié, il est forcément une proie facile. Ceux qui ont le plus d'autorité, comme intelligence ou comme force brutale, essaient de l'accaparer. Le petit est choyé, caressé ; la cantine lui est gracieusement offerte. On lui donne du tabac, du linge, etc. Intrigué, il se demande à quoi rime tout cela. Bientôt, des allusions libertines, des sous-entendus libidineux lui font entrevoir une partie de la vérité ; mais il se rassure, en se voyant enfermé, le soir, dans une petite cellule. Quelle n'est pas sa stupéfaction de sentir, une belle nuit, un de ses admirateurs se glisser dans son lit ! Il veut protester, crier. La persuasion, la menace, la reconnaissance des services rendus amollissent sa résistance; il cède et se tait. Désormais, il est perdu. Heureux encore, si, dans son séducteur, il a rencontré un homme qui le fasse respecter et ne l'abandonne pas. Mais, le plus souvent, il est traité comme un objet d'utilité publique. Tous les soirs, les amateurs se succèdent. L'odeur du coït met en rut la vile tourbe des pédérastes, et l'infortuné jeune homme est obligé, sous peine d'être maltraité, de subir les volontés et les brutalités de ses codétenus. Qu'arrive-t-il ? Peu à peu, il accepte son rôle de « femme », il devient même provocateur. Et, c'est ainsi que cet imberbe - presque un enfant - que la prison devait corriger, se transforme, sous les assauts réitérés de ces mâles assoiffés de luxure, en une infecte catin qui n'a de l'homme que le nom.
8- Au point de vue de la population :
Urbains : 42 soit 71,18 %
Ruraux : 17 soit 28,81 %
Un rural, gentil garçon de dix-neuf ans surnommé « Zoizeau », réalise le type rêvé par les pédérastes : il est petit de taille, brun, glabre, le teint mat, avec de grands yeux ombragés de longs cils, cet adolescent fut bientôt un des gironds le plus à la mode. « Quelques semaines après mon incarcération, raconte un sociétaire, il me tomba sous les yeux. N'étant pas de son atelier, je me contentai de le regarder de loin. Une punition de salle de discipline nous fit faire connaissance. Nous marchions l'un derrière l'autre. Son bon appétit me frappa. Or, « Zoizeau » ne recevait aucun secours
de la détention, cependant que mes collègues me comblaient de douceurs par l'intermédiaire du prévôt. Au dortoir, je lui vidai le fond de mon sac. « Sans trop d'hésitation, il accepta mes services. Dès ce jour, il appartint à tous ceux qui voulurent l'aimer. D'un caractère soumis, il ne savait pas ou n'osait point refuser. »
9- Au point de vue du tatouage :
Tatoués : 33 soit 55,93 %
Non tatoués : 26 soit 44,06 %
Une femme en pied, une M et une pensée avaient été tatouées sur le bras d'un coiffeur, âgé de vingt ans, qu'on appelait « Marcelle ». « Quand l'occasion se présentait, « Marcelle » passait la main dans la poche de votre pantalon, tout naturellement, sans avoir l'air de rien. » La phtisie l'emporta. Quel que soit l'emblème (botte, ancre, croix de cimetière, bague, médaillon ou étoile), un tatouage sur la verge est un signe de pédérastie. Les cinq individus tatoués sur cette région sont des récidivistes : 1 a été condamné deux fois, 2 quatre fois, 1 cinq fois et 1 sept fois.
10- Au point de vue du visage :
Ovale : 42 soit 71,18 %
Allongé : soit 2 3,38 %
En losange : 9 soit 13,25 %
Large : 3 soit 3,08 %
Arrondi : 3 soit 5,08 %
Il a un visage ovale, des yeux langoureux et une physionomie douce, le polisson, désigné sous le nom de « la Lyonnaise ». Timide, le jour, « il paillardait ferme, la nuit, et professait un certain mépris pour ceux qui étaient mal montés. ». Quoiqu'il ne se donne pas pour rien, il ne demande point d'étrennes, mais il laisse comprendre, en faisant le câlin, les besoins qu'il a. Il ne parle de lui qu'au féminin.
1- Au point de vue du front :
Inclinaison intermédiaire : 39 soit 66,10 %
Inclinaison verticale : 15 soit 25,42 %
Inclinaison fuyante : 5 soit 8,47 %
« Georgette » est un grand diable de vingt-cinq ans, au front fuyant, à la démarche saccadée. Son regard baissé va droit à la braguette de ses codétenus. Ceux-ci s'accordent à lui reconnaître un talent remarquable. Traité, à l'infirmerie, pour une fièvre muqueuse, il racola dès sa convalescence, prétendant que l'opération lui serait plus salutaire que toutes les ordonnances du toubi. « Il ne fait pas ça pour l'argent, mais pour le plaisir » ; et lorsque l'actif est un besogneux, il lui offre une bonne ration de cantine, car « un affamé n'est point en état de se bien conduire ».
12- Au point de vue du nez :
Base horizontale : 34 soit 37,62 %
Base relevée : 25 soit 42,37 %
Fortement retroussé est le nez de « la Négresse ». Faute de clientèle dans la vie libre, cet homme âgé de vingt-sept ans réintègre joyeusement la maison - au moyen du vol - certain d'y trouver des actifs que n'effarouchent pas une barbe hirsute, une tignasse poisseuse et une poire passablement blette. Bien entendu, avec « la Négresse », c'est gratis. S'il en était autrement, personne ne consentirait à marcher.
13- Au point de vue de la bouche :
Petite : 9 soit 15,25 %
Grande : 2 soit 3,38 %
Moyenne : 48 soit 81,35 %
A coins abaissés : 4 soit 6,77 %
A coins : 6 soit 10,16 %
Rectiligne : 49 soit 83,05 %
Bée : 5 soit 8,47 %
Pincée : 4 soit 6,77 %
Ouverture intermédiaire : 50 soit 84,74 %
A noter, chez 4 de ces individus, des lèvres épaisses. Dans un cas, la lèvre supérieure est retroussée ; dans un autre, l'inférieure est pendante. Ce dernier n'y va pas par quatre chemins. A la condition qu'il y ait du comestible a la clef, il est prompt à laisser tomber le pantalon.
14- Au point de vue du menton :
Saillant : 9 soit 15,23 %
Fuyant : 7 soit 11,86 %
Droit : 43 soit 72,88 %
J'ai compté 10 prostitués ayant une fossette au menton. « Le Niston » en offre le plus bel exemple. Avec lui, pas de crédit ; il faut casquer d'avance ! Et encore n'accorde-t-il ses faveurs qu'à ceux qu'il croit discrets.
15- Au point de vue de l'oeil:
Iris orange : 24 soit 40,67 %
Iris châtain : 12 soit 20,33 %
Iris jaune : 13 soit 22,03 %
Iris impigmenté : 7 soit 11,86 %
Iris marron : 3 soit 5,08 %
Dix-huit ans, cheveux châtains, yeux marrons, pas un poil de barbe, regard « fascinateur », tel est le portrait sommaire de « Petite Crotte », hétaïre des plus huppées.
16- Au point de vue du teint :
Brun : 34 soit 57,62 %
Clair : 17 soit 28,81 %
Mat : 4 soit 6,77 %
Blond : 4 soit 6,77 %
La spécialité de la blonde « Juive » (marchand forain âgé de vingt-six ans), c'est la succion pénienne. S'il se soumet parfois à d'autres exigences, il ne le fait qu'à contre-coeur, trouvant cela « brutal ».
17- Au point de vue de la carrure :
Moyenne : 44 soit 74,57 %
Grande : 8 soit 13,55 %
Petite : 7 soit 11,86 %
De carrure petite et d'esprit sémillant, « la belle G... » touche à ses dix-sept ans. Il n'a nulle honte de son métier d'entraîneur : il essaie les jeunes gens qui lui sont confiés à l'apprentissage, il leur offre la réciproque et les fiance à des gaillards dont il connaît par lui-même la générosité.
18- Au point de vue de la taille :
Taille au-dessous de 1 m. 60 : 14 soit 23,72 %
de 1 m. 60 à l m. 65 : 2 soit 45,76 %
de 1 m. 63 à 1 m. 70 : 11 soit 18,64 %
de 1 m. 70 et plus : 7 soit 11,86 %
Et, moyenne générale de la taille : 1 m. 628.
[Le docteur Perrier poursuit son propos par une série de relevés anthropométriques - mesures du buste, du pied gauche, de l'oreille droite, de la forme du crâne, etc. - dont on trouvera ci-dessous le tableau censé rassembler les différentes données...]
[...] Considérés d'après la nationalité, les gironds présentent les proportions que voici :
Français : 51 sur 652, soit 7,82 %
Étrangers : 8 sur 207 soit 3,86 %
Ensemble : 59 sur 859 soit 6,86 %
Cette prédominance des prostitués français s'explique par ce fait que les condamnés français de 16 à 20 ans (98 sur 652, soit 15, 03%), sont en nombre supérieur à celui des étrangers (10 sur 207, soit 4, 83 %). C'est en effet dans la catégorie de seize à vingt ans que se recrutent 49,15 % des gironds. Celle de vingt à vingt-cinq ans en fournit 30,50 %. A partir de cet âge, le prostitué semble avoir conscience de l'infamie de ses pratiques, il se cache. On ne rencontre, parmi les vieux, que des professionnels et des névrosés. Les illettrés, ceux qui savent lire et ceux qui savent lire et écrire, sont en proportion inférieure, dans chacune de ces mêmes catégories d'instruction, aux catégories correspondantes de l'ensemble des condamnés. L'inverse se produit, dès qu'on aborde les degrés plus élevés : au lieu de 10.82 % d'individus sachant lire, écrire et calculer, on en compte 18.64 % chez les prostitués. Au point de vue de l'instruction primaire, la proportion des prostitués est un peu plus du double, soit :
Ayant reçu l'instruction primaire :
Prostitués : 4 sur 59, soit 6,77 %
Population détenue : 27 sur 859 soit 3,14 %
Cela n'a pas une grande importance, en raison même du petit nombre de condamnés possédant ce degré d'instruction. Dans la vie libre, la plupart des prostitués n'exercent aucune profession. Sous les verrous, au contraire, les mômes sont des ouvriers actifs et habiles. Est-ce une question de ventre ? Et ces dames, gourmandes à l'excès comme les prostituées de l'autre sexe, trouvent-elles insuffisanles les nombreuses friandises de cantine qu'elles reçoivent de leurs amants et veulent-elles avoir un pécule pour s'offrir elles-mêmes des primeurs ? N'est-ce pas, plutôt, dans le but de masquer leurs dérèglements honteux et de se concilier les bonnes grâces de l'Administration, que les prostitués travaillent avec ardeur? Pour eux, le linge de corps est un souci constant ; ils aiment à s'attifer, et, dans la conversation, se traitent de soeurs. N'empêche qu'ils se jalousent et se calomnient. En général, quand ils se choisissent un ami, ils lui sont fidèles. Quelques-uns, cependant, pratiquent le truc, avec la permission de leur « petit homme », auquel ils apportent le produit des passes. Souvent aussi, ces efféminés se prennent de passion pour une salope de leur espèce, et on est à se demander lequel des deux fait le mâle. Peu se corrigent en vieillissant ; ils restent passifs jusqu'à ce que l'âge les oblige à prendre la retraite. Ils deviennent alors tantes ou copailles et se livrent à l'onanisme buccal.
Chez les prostitués, la proportion des crimes contre les personnes est bien inférieure à celle de l'ensemble des condamnés (16,94 % au lieu de 25,49 %). Partant, la proportion des crimes contre les propriétés l'emporte (83,05 % au lieu de 74,50 %). Le vagabondage et le vol sont bien le propre de ces gens-là. 77,96 % des prostitués sont des récidivistes (proportion énorme, étant donné le jeune âge des gironds). Tout au contraire, dans l'ensemble des condamnés, on ne rencontre que 70,66 % d'individus ayant des antécédents judiciaires. La différence, entre ces deux chiffres, établit l'influence néfaste des maisons de correction. Les individus, adonnés aux travaux des champs, sont moins portés à la passivité que les urbains. Ainsi, les ruraux se trouvent, parmi les prostitués, en proportion bien inférieure à celle qu'ils présentent parmi les condamnés de tout acabit (28,81 % au lieu de 43,42 %). On compte, parmi les prostitués, 55,93 % de tatoués, soit 15,65 % de plus que chez les condamnés. Et cela, non seulement parce que les prostitués ne sont pas habitués à discuter les caprices de l'ami, mais encore par suite de l'influence plus grande qu'exercent sur eux les milieux pénitentiaire et urbain.
Les tatouages observés sont généralement, sans importance. Ils comprennent : des initiales, points, ancres, pensées, bracelets, coeurs, étoiles, oiseaux, poignards, bagues, fleurs, etc., etc., un âne en redingote lisant l'alphabet, une verge et des inscriptions : « enfant du malheur », « marche ou crève », « court fainéant », etc., etc. Si on les oppose à l'ensemble des condamnés, on constate, chez les prostitués, une moindre proportion de visages à forme arrondie (4,34 % en moins), de visages à forme large (6,79 % en moins), de fronts à inclinaison fuyante (8,47 % au lieu de 20,72), de mentons saillants (1,97 % en moins), de mentons fuyants (3,85 % en moins), et un excédent (12,57 % en plus) de nez à base relevée. Chez les condamnés, on note une proportion inférieure de bouches moyennes (4,41 % en moins), et, à l'inverse des prostitués, les bouches grandes l'emportent sur les petites (0,94 % en plus). Les prostitués comptent moins de bouches à coins relevés et à coins abaissés, et moins de bouches à ouverture bée et à ouverture pincée. A signaler, chez eux, une proportion plus élevée d'iris impigmentés et moins d'individus à teint brun. Chez les prostitués, comme pour l'ensemble des détenus, les carrures moyennes dominent, à égalité près. Et, ce qui ne surprendra personne, il est moins de carrures grandes et plus de carrures petites chez les prostitués. Quelle que soit la catégorie d'âge - exception faite pour celle de 25 à 30 ans, où la taille des prostitués dépasse la taille des criminels en général - les prostitués sont plus petits. Chez les uns comme chez les autres, la taille atteint son maximum à 30 ans. La diminution est plus brusque et plus sensible chez les prostitués. Bien entendu, chez ces derniers, en raison de leur âge, il y a une proportion moindre de grandes tailles. Pour les tailles au-dessous de 1 m. 60, la proportion est la même. Mais, dans les tailles de 1 m. 60 à 1 m. 65, on trouve un surplus de 19,22 %, chez les prostitués.
[...] La grande majorité des prostitués appartient à la classe pauvre. D'aucuns ont contracté le vice de la pédérastie par la débauche réciproque entre gens qui couchent ensemble et qui n'ont pas les moyens pécuniaires d'aller voir les femmes. La plupart sont des paresseux que l'espoir du lucre pousse aux pires hontes. Ici, on note un défaut d'intelligence, d'esprit de conduite, de moralité ; là, une grande faiblesse de caractère, le manque absolu de volonté. Aussi bien, une tare héréditaire pèse sur le système nerveux de beaucoup de gironds et la persistance des mêmes pratiques amène un dérèglement sans limite et sans remède. La prostitution pédéraste est vieille comme le monde. On s'en plaignit autrefois, on s'en plaint aujourd'hui, on s'en plaindra toujours; elle ne disparaîtra qu'avec l'humanité. Toutefois, il semble que la révision de la loi, qui concerne les jeunes détenus, diminuerait, dans une certaine mesure, le nombre des prostitués."
extraits de "La pédérastie en prison" par Charles Perrier (1862-1938), médecin à la prison centrale de Nîmes, in Les Criminels Tome II et Les Archives de l'Anthropologie Criminelle, 1900.
samedi 18 décembre 2010
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