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Acte II : Ce maître, très introduit dans la belle société, a aussi un coeur...
"Le capitaine d'état-major Voyer - un pianiste amateur qui s'est mérité une réputation d'artiste - vient [...] de faire sa rentrée dans nos salons parisiens. Il a commencé par les salons Erard où il a fait entendre du Weber, puis du Mendelssohn, du Thalberg et du Prudent. Au nombre des auditeurs, on remarquait Planté et Ritter, les deux jeunes grands maîtres du piano." (Le Ménestrel, 1er février 1874). La deuxième soirée musicale aligne la marche indienne de L'Africaine de Meyerbeer, la troisième sonate de Weber, la Marche funèbre de Chopin, la Chanson à boire de Prudent, une Romance sans paroles de Mendelssohn et une Polonaise de Chopin. "M. le capitaine Voyer [...] renouvelle cette année ses hauts faits de l'an dernier, et vient de rouvrir à la salle Erard une série de concerts dont il fait à lui seul tous les frais. A sa première séance, qui a eu lieu le 16 de ce mois, assistait un public tel qu'on n'en voit guère aux séances musicales, et parmi lesquels nous avons remarqué M. le général de Cissey, ministre de la guerre, avec sa famille et tout son état-major, M. l'amiral de Montagnac, ministre de la marine, Mme de Cumont, femme du ministre de l'instruction publique et des beaux arts, Mlle Tailhand, fille du garde des sceaux, et un grand nombre d'officiers généraux et supérieurs [...], puis Mme la duchesse d'Elchingen, M. Camille Rousset de l'Académie française, MM. le duc de Galliera, le prince Bibesco, le comte de Clermont-Tonnerre, le baron Larrey, etc. etc. Le succès du capitaine Voyer a été brillant et accepté, et c'est au milieu des applaudissemens de l'assistance qu'il a exécuté la première sonate de Weber, l'Impromptu op. 66 de Chopin, La Danse des fées d'Emile Prudent, La Contemplation de Mendelssohn et une pièce de Thalberg." (Le Ménestrel, 24 janvier 1875).
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Acte III : Quand le capitaine se penche sur le sort d'un jeune artilleur...
Louis Marcel Voyer, ce "si remarquable artiste après avoir été, dans la dernière guerre, un si brillant officier", est surpris le 18 juin 1880 dans le bois de Vincennes, tenant en main les parties génitales d'un jeune artilleur de vingt ans son cadet. Les journaux relatent l'incident avec intérêt, ne ménageant pas leur mépris pour le capitaine Voyer. "Une rumeur étrange circule dans Paris. On se raconte qu'un clérical de marque, l'ex-capitaine Voyer, ami de Mme de Mac Mahon, organisateur des concerts de l'Elysée du temps de la maréchale, et conférencier catholique applaudi, s'est fait pincer dans le bois de Vincennes sous le chêne de saint Louis, en train... d'enseigner la musique à un artilleur. Il paraît d'ailleurs que l'anacréontique capitaine n'en était pas à son coup d'essai; car, si l'on en croit la chronique, la police, qui n'ignore pas les motifs qui l'ont décidé à quitter l'uniforme, avait depuis longtemps les yeux sur lui. Elle savait, cette malencontreuse police, que ce n'était pas seulement sur le piano, dans les soirées du high life, que le capitaine Voyer aimait à exercer ses talents de virtuose, et que ce qu'il affectionnait surtout, c'étaient les nocturnes à deux vois, au milieu de la belle nature, à la pâle lueur des étoiles. Le poétique capitaine, dérangé au milieu du morceau, a vaillamment résisté aux sbires qui interrompaient son duo, mais la force a vaincu la valeur; et voilà comme un galant homme a maintenant du désagrément" (Le Petit Parisien, 28 juin 1880).
Les quolibets pleuvent sur l'infortuné pianiste, interpellé "en train d'apprendre l'arabe à un artilleur", "essayant d'effeuiller un artilleur comme on effeuille une marguerite", etc. "L'officier mélomane était depuis longtemps signalé à la police comme ayant de fâcheuses habitudes ; on racontait même sur lui d'étranges histoires de costumes. Nous n'insistons pas." (La Presse, 23 juin 1880). "Je ne sais si vous êtes comme moi ? Moi, j'aime l'artilleur, je le trouve crâne j'admire cet homme qui sans broncher peut tirer un nombre illimité de coups de canon et semer la mort à distance ; quand, lui, reste plein de vie, solide au poste et toujours prêt à remplir son devoir. Eh bien! les gazettes me sont particulièrement désagréables qui m'apprennent qu'un artilleur a succombé devant un pianiste compositeur, et cela sous la seule influence d'une vulgaire symphonie en blanc majeur intitulée la Pièce de quarante sous. Niez donc, après cela, la puissance de la musique, en tant que procédé pour adoucir les moeurs! Du coup, le pianiste ordinaire du septennat mac-mahonien est devenu le plus extraordinaire des pianistes. Mais où diable la réclame va-t-elle se nicher? Car je ne puis voir dans cette aventure qu'un désir immodéré de faire parler de soi et d'assurer la réussite d'une prochaine tournée de concerts. N'empêche que cette manière de se frayer la route du succès est stupéfiante. C'est infiniment plus fort que de jouer au bouchon. L'agent Voyer, on sait qu'il s'habillait en sergent de ville, ayant pris à l'école d'état-major l'habitude de lever des plans, fera sagement en organisant au plus tôt celui de sa fuite. Au besoin, le musicien émérite qui est un autre lui-même pourra lui dire ce que c'est qu'une fugue. Quant au choix du pays où ce virtuose déchu doit s'exiler, il est tout indiqué. Qu'il aille pleurer sa honte sur les ruines de Sodome" (La Presse, 26 juin 1880).
Acte IV : Les fausses notes de l'ex-capitaine... Un procès à charge
Dans ses Causes criminelles et mondaines (1880), Albert Bataille réserve un chapitre au procès de l'ex-capitaine Voyer devant la huitième Chambre correctionnelle. De même que les compte-rendus des journaux se dispensent "d'entrer dans des détails répugnants", l'auteur (qui est aussi le chroniqueur judiciaire du Figaro) y affiche d'emblée ses réserves : "On comprendra que, dans une affaire de cette nature, nous nous abstenions de tout commentaire, de toute réflexion personnelle, et que nous nous bornions à une sorte de procès-verbal des débats. Nous demandons seulement la permission de substituer des équivalents à certaines expressions un peu crues." Ce qui ne contribue pas toujours à la manifestation de la vérité pour le lecteur, les réponses des uns ou des autres étant souvent tronquées, avec, sous couvert de pudibonderie, le dessein évident de mieux tourner en ridicule les héros de cette mésaventure. Le portrait dont chacun fait l'objet brille d'ailleurs par la sévérité, voire la cruauté dans le cas du jeune artilleur.
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"L'artilleur que la prévention lui a donné pour complice", Louis Nicolas Mégnin (dont le nom est parfois orthographié Meignen), n'est pas gâté par les descriptions, notamment sous la plume d'Albert Bataille : "[C']est un grand garçon d'une vingtaine d'années, maigre, blême et mal bâti [qui] a de gros traits, un grand nez et de grandes oreilles. Il paraît très niais et rit, à tout propos, d'un rire imbécile. L'audience l'amuse excessivement. Avez-vous jamais vu des conscrits en épanouissement devant une parade de foire? Mégnin a cette physionomie-là." Le Gaulois se montre plus objectif : "c'est un jeune homme de vingt ans, imberbe, à la figure pâle et couverte de boutons. Les cheveux sont châtains clairs et mal plantés. Son aspect est sale et repoussant. Lui est arrêté. Il est vêtu de sa veste de travail et d'un pantalon de toile grise. Il tient son képi à la main."
Le récit des débats est assez houleux. "M. le président Cartier commence par faire expulser de l'audience quelques filles plus ou moins plâtrées qui ont eu l'audace de venir assister à cette affaire, et le défilé des témoins à charge commence immédiatement. Voici, d'abord, les quatre inspecteurs de la police des moeurs qui ont dressé le procès-verbal et opéré la double arrestation. Depuis, M. Voyer a été relâché sous caution [...]."
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Si l'on devine les motivations de l'ex-capitaine, l'artilleur ne fait pas mystère des siennes : "Mégnin [...] a déclaré que M. Voyer lui avait donné rendez-vous, trois jours auparavant, pour lui payer une chopine." Et l'agent ajoute qu'il a appris le lendemain que "M. Voyer lui avait offert 2 francs" et de préciser un peu plus loin que "Voyer [lui] avait été signalé comme admettant à sa table des militaires de toutes armes, et comme se promenant avec eux dans le bois." Le commissaire de police qui a procédé à l'interrogatoire après leur arrestation précise : "Je connaissais la mauvaise réputation de Voyer. On l'appelait le beau séducteur. (sourire). Mégnin m'a avoué qu'on lui avait dit que le capitaine Voyer cherchait toujours des soldats. M. Voyer m'a avoué qu'il avait de mauvaises habitudes, mais que, cette fois, il n'avait rien fait." Déclarations qui motivent aussitôt une dénégation très vive, de la part de l'intéressé :
"M. Voyer. — Le commissaire de police me fait dire des choses qui ne sont pas vraies. Ce qu'il ne dit pas. c'est qu'il avait donné à ses agents l'ordre de me casser la tête à coups de revolver ! (Mouvement.)
M. le président. — Nous ne pouvons tolérer ce langage vis-à-vis d'un commissaire de police !
M. Voyer (reprenant). — Il n'est pas admissible, Monsieur le président, que j'aie fait une confidence pareille à un homme qui me menaçait ainsi, et, devant le juge d'instruction, je lui ai témoigné tout mon mépris!
Le témoin. — Je n'ai pas fait menacer M. Voyer de coups de revolver. Seulement, comme il faisait rébellion dans le poste, j'ai invité les agents à réprimer cette rébellion par la force."
Me Léon, défenseur de Mégnin, demande "si l'artilleur ne pleurait pas dans son cabinet.
Le témoin. — Oui, il avait l'air contrit ; il semblait avoir des regrets, ne pas être content, enfin! (Hilarité.)"
Les témoins à décharge protestent des bonnes moeurs de Voyer. M. Saucerousse, le propriétaire du restaurant de Vincennes où il a ses habitudes, déclare qu'il fréquente son établissement "depuis trois ans [...] [et] n'a [jamais] amené de soldats; une seule fois, il a dîné avec un jeune militaire du train" - et encore c'était un ami de la famille. Son ancien ordonnance, tout comme la propriétaire de l'hôtel meublé où il réside donnent, l'un sur son ancien supérieur l'autre sur son locataire, "des renseignements excellents", de même que la concierge de son ancien domicile 25 avenue de Tourville : "M. Voyer a habité longtemps la maison. Il voyait, pour ses concerts, beaucoup de personnes haut placées. Jamais je n'ai vu entrer chez lui de gens suspects. Une seule fois, j'ai empêché un jeune homme de monter chez lui. - D. Que demandait ce jeune homme ? - R. Il désirait la protection de M. Voyer. Le capitaine était très obligeant, très bon. On savait qu'il aimait a rendre service, et il était très sollicité.- D. Le témoin n'a-t-il jamais vu M. Voyer amener des jeunes gens chez lui, la nuit? - R. Jamais. " La concierge de l'immeuble où il habite avec sa mère rue Jacob déclare qu'il "tapotait" et que "le voisin du dessous s'étant plaint, M. Voyer fit remarquer qu'il avait le droit de jouer du piano jusqu'à onze heures. C'était sa seule occupation".
Durant l'interrogatoire, "M. Voyer se possède parfaitement. Il parle avec beaucoup de clarté et répond sans aucun embarras aux questions qui lui sont posées". Le président demande à l'accusé d'expliquer "pourquoi [il était] dans le bois de Vincennes en compagnie de l'artilleur Mégnin et [de dire s'il] lui [avait] donné dendez-vous depuis plusieurs jours.
R. Non, monsieur, je ne lui avais pas donné rendez-vous
D. Il dit le contraire.
R. J'ai toujours déclaré que non.
D. Mais il a toujours, lui, déclaré que oui.
R. Je crois que je m'explique nettement. Il n'a pas la même éducation que moi.
D. Précisément, et alors il est intéressant que nous sachions le motif de votre liaison.
R. Mon Dieu, monsieur le président, c'est bien simple. J'étais averti depuis longtemps que des gens me suivaient, me 'filaient' comme on dit. J'avais su cela à Paris.
D. Vous avez deux domiciles?
R. Oui... Cela recommançait à Vincennes où j'étais depuis trois semaines à peine. Je sortais le matin, l'après-midi ; je voyais toujours des hommes qui me guettaient. Un jour je rencontre un jeune artilleur. Je le croyais de la musique. Je savais qu'il y avait un corps de musicien qu'on formait dans l'artillerie. Alors j'ai adressé la parole à Mégnin. Je lui demandé de quel instrument il jouait. Il m'a dit qu'il n'était que soldat. Nous avons causé un moment. Il m'offrit de prendre une chopine. Vous comprenez que je n'ai pas l'habitude de consommer sur les comptoirs de marchands de vin! Enfin, je ne songeais qu'à me débarrasser de l'artilleur, qui paraissait prendre trop de goût à ma conversation. Nous nous séparâmes.
D. Pour vous revoir bientôt?
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D. Est-ce pour cela que vous avez pris la main de Mégnin?
R. Oh! c'est bien simple. Je voyais toujours ceux qui me filaient. Ils arrivèrent sur nous. Ils étaient quatre. Mégnin, en les apercevant, me parut avoir peur. Je lui pris la main pour le rassurer. (Rires).
D. Ce n'est guère flatteur pour l'armée française ! (Nouveaux rires.) De quoi pouvait-il avoir peur? Il ne pouvait craindre les voleurs, lui qui n'avait pas d'argent; de plus, vous vous trouviez près d'un restaurant éclairé.
R. Il avait vu quatre hommes qui nous suivaient, et comme il était sorti ce soir-là de la caserne sans permission en escaladant le mur, il avait peur des patrouilles.
D. Vos explications ne sont pas très plausibles. Vos moeurs ont fait l'objet de rapports qui n'ont rien d'obligeant pour vous. En 1877, un rapport de police a constaté qu'un nommé Bayard, qui était à Mazas, vous a écrit pour vous accuser réception de vingt francs et vous demander cent francs sous menaces.
R. Je ne connais pas cet homme. Depuis quatre ans, je suis comme persécuté. Je reçois des lettres anonymes, et on en fait circuler sur mon compte. Un jour, le duc de Sabran m'en montrait un jour une où on me dénonçait odieusement.
Le capitaine Voyer fond en larmes à ce souvenir.
D. Cette dénonciation ne reposait-elle pas sur quelque fait exact? Vous êtes signalé non-seulement par la police mais par des accusateurs bien compromettants. Il y a des jeunes gens qui ont fait de la prison à cause de certains actes très réprouvés par la morale et qui, sur votre compte, sont singulièrement précis. Il y a un nommé Mathieu, dit Tintamarre; un nommé Bailly, dit La Rougeur; un nommé David, dit Filasse. Mais laissons de côté ces récits. Les constatations du 18 juin doivent seulement nous occuper.
R. Elles sont fausses.
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R. Je n'en savais rien, moi.
D. Quand on vous a arrêté, votre première phrase a été celle-ci : 'je ne faisais rien avec l'artileur!' Vous avez résisté et c'est votre complice qui a aidé les agents à vous conduire au poste."
L'interrogatoire se poursuit avec Mégnin. "M. Mégnin est moins vif dans ses réponses. Elles offrent un intérêt médiocre au surplus.
D. Voyons, Mégnin, racontez-nous ce qui s'est passé.
R. Monsieur m'a dit : Suivez-moi, j'ai peur !...
D. De quoi ?
R. Il ne m'a pas dit de quoi.
M. Voyer. - Je lui ai dit que j'étais filé.
Mégnin. - Sous l'arbre, monsieur m'a pris la main.
D. Pourquoi ?
R. Pour que je n'aie pas peur.
D. Il ne vous a pas touché autrement ?
R. Non. Ce sont les agents qui ont fait ce rapport-là en me menaçant de me faire passer au conseil. J'ai tout signé pour être tranquille!"
"Le capitaine Voyer demande ensuite qu'une question soit posée à l'agent Stefani, qui prétend avoir été frappé d'un coup de canne. 'Ma canne était tombée à ce moment, je n'ai pu frapper'. L'agent Stefani est rappelé.
'J'affirme que j'ai reçu des coups de canne. M. Voyer m'en a d'ailleurs demandé pardon au commissariat. (Murmures.)
Le capitaine Voyer (avec indignation). - Moi! demander pardon à un monsieur comme vous! M. le président voudrait-il demander aussi à cet homme, si lorsqu'il m'a vu chez le commissaire, il ne m'a pas dit avec impertinence : 'Te voilà vieille branche!'. L'agent Stefani. - Non."
" [...] M. Voyer venait de quitter le restaurant Saucerousse, situé dans le bois, lorsqu'il se dirigea vers le fort où il assure que Mégnin se trouvait par hasard. Il avait déjeuné en compagnie d'un personnage à chapeau de paille demeuré inconnu. Quelques minutes après sa sortie, l'averse commençait à choir. Pas plus que lui, Mégnin ne tenait à se mouiller. N'était-il pas naturel qu'ils se réfugiassent sous un chêne? On sait que l'affaire date du 18 juin. Sept jours avant, le 11, un rapport des inspecteurs des moeurs signalait le raccolage de jeunes militaires auquel se livrait M. Voyer aux environs de la caserne, à Vincennes et dans les lieux de garnison circonvoisins. L'organe du ministère public regarde Mégnin comme un niais qui mérite une simple leçon ; il réclame contre M. Voyer une condamnation sévère."
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Mécontents, Voyer d'une part et le ministère public d'autre part, font appel. Et le pianiste s'en mordra les doigts... car, commente Le Gaulois (24 septembre 1880), "le rédacteur de l'arrêt s'est par-dessus tout proccupé des habitudes prêtées par les rapports de police au capitaine Voyer et de ses intentions probables d'après les agents des moeurs qui l'ont arrêté. On ne peut cependant oublier que le fait reproché au capitaine Voyer se serait passé par une nuit noire et orageuse, où la constatation du délit devait être au moins difficile. Il résulte de ces réflexions que, quelque soit la moralité du capitaine Voyer, ce qui n'est pas notre affaire, la déclaration isolée des agents des moeurs suffit pour faire prononcer une condamnation et que c'est bien la moralité du prévenu qui détermine cette condamnation que le fait spécial à lui reproché. Est-ce bien là l'esprit de la loi?"
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La peine de Voyer est plus lourde que celle de son complice, parce que la justice le tient pour responsable de la "corruption" du jeune militaire pour la première fois inculpé d' "outrage public à la pudeur". Pour le malheur de Voyer, cette affaire connaît un certain retentissement en raison des affinités politiques et affectives qui le lie à l'entourage du maréchal de Mac-Mahon, président de la République de 1873 à 1879. La sévérité du jugement de la cour d'appel, et surtout le traitement que la presse a le plus souvent réservé à l'instruction et au procès participe d'un réglement de compte politique : la gauche républicaine dispute à un milieu politique conservateur déjà affaibli par des affaires de corruption, la défense et l'illustration des valeurs morales. C'est d'ailleurs ce que laisse entendre d'entrée de jeu le chroniqueur du Gaulois (31 juillet 1880) : "On sait le bruit qui s'est fait autour de l'arrestation du capitaine Voyer, inculpé d'outrage public à la pudeur. [...] Certains journaux s'empressèrent [...], en apprenant son arrestation, de mêler la politique à l'affaire, et d'entreprendre une campagne contre le capitaine Voyer, qu'ils traitaient de clérical, oubliant qu'il s'occupait indistinctement de bonnes oeuvres religieuses aussi bien que laïques. Chaque jour on voyait, avec surprise, ces feuilles publier de nouveaux détails et suivre l'instruction pas à pas. Ces révélations inqualifiables ne pouvaient émaner que de gens touchant de près au service des moeurs et ayant intérêt à provoquer le scandale. Ainsi que l'a fort bien dit Me Demange, 'il y a eu là une grave atteinte portée à la liberté individuelle par la presse. Celle-ci, qui doit être généreuse et dont la mission paraît être de défendre la liberté individuelle, s'est, dans cette affaire, livrée à de basses dénonciations.' Ceci dit, nous n'entendons nullement prendre la défense de M. le capitaine Voyer ; nos lecteurs apprécieront eux-mêmes ce quil en est [...]. Mais nous ne pouvions laisser sans blâme le rôle odieux que plusieurs journaux se sont plu à jouer dans cette affaire, en se faisant des auxiliaires de nous ne savons quelle coterie politique."
Epilogue
Qu'est devenu le capitaine Voyer? Il poursuivit sa carrière bon gré mal gré, si l'on en croit une lettre que le compositeur Emmanuel Chabrier adresse le 4 novembre 1882 à madame Enoch, "à propos de pianiste, le capitaine Voyer, qui s'est illustré dernièrement en touchant d'un tout autre clavier, donnait des concerts à Puerto Santa Maria près de Cadix ; nous avons vu les affiches en traînant, par les rues de Puerto Santa Maria, nos pauvres doigts de pieds, que nous comptons tous les soirs pour nous assurer qu'il n'en est pas resté en route."
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